jeudi 26 avril 2018

322 : Doctrine partisane : le mélange des genres, par Jean-Pascal Chazal






L'année dernière, la campagne présidentielle était perturbée par l'affaire Fillon, lequel avait employé en qualité d'assistant parlementaire sa femme et deux de ses enfants, emplois que Le Canard enchaîné soupçonnait de fictivité. Beaucoup de professeurs de droit sont intervenus dans le débat public. Les uns invoquaient les principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d'indépendance des parlementaires, les autres (dont je faisais partie) prônaient le contrôle judiciaire de l'usage par les élus de la Nation des fonds publics mis à leur disposition. L'existence de ce débat est réjouissante d'un point de vue démocratique, sauf à critiquer les excès de langage de ceux qui ont cru pouvoir parler de « coup d'État institutionnel » ou de « tribunal de l'opinion ».

Un article a eu un retentissement médiatique plus important que les autres, certainement en raison de l'éminence de ses auteurs : les deux grands constitutionnalistes Pierre Avril et Jean Gicquel. Il était intitulé : « Collaborateurs parlementaires : respectons le droit » (Le Figaro, 9 févr. 2017). Sous ce titre, qui sonnait comme une injonction et qui convoquait l'objectivité du droit et la neutralité des universitaires qui en délivraient la substance, j'avais cru lire les éléments de langage du candidat Fillon et de ses avocats. Je ne pensais pas si bien croire.

Le directeur de campagne de François Fillon, Patrick Stefanini, dans un livre d'entretiens publié en fin d'année dernière, explique qu'il a « pris attache, le samedi 4 février, de plusieurs des meilleurs constitutionnalistes, dont les professeurs Pierre Avril et Jean Gicquel, qui ont signé dans Le Figaro une tribune pour rappeler ce principe [la séparation des pouvoirs] et la portée qu'il convenait de lui donner en l'espèce » (Déflagration, Dans le secret d'une élection impossible, avec C. Barjon, Robert Laffont, 2017, p. 269 et 270). La fameuse tribune était donc une commande destinée à participer au plan de communication de l'équipe de campagne du candidat !

Ne croyant pas à la neutralité de la doctrine, je ne vois pas d'inconvénient à reconnaître qu'elle est nécessairement engagée et que les opinions des auteurs influencent nécessairement leurs analyses juridiques. C'est le mélange des genres qui me paraît inacceptable. Les professeurs de droit sont souvent sollicités pour rédiger des consultations. Aucun problème à cela. Parfois ils acceptent de transformer leurs consultations en article afin de donner une apparence d'objectivité scientifique à une opinion sollicitée par un commanditaire qui y a intérêt. C'est là que l'éthique universitaire est bafouée et que la doctrine devient partisane. L'honnêteté commandait à ces deux professeurs de révéler la sollicitation dont ils avaient été l'objet. Cette transparence aurait permis à leurs lecteurs de ne pas être abusés par l'objectivité apparente conférée par la mise en avant de leurs titres académiques et leur posture consistant à en appeler au respect du droit (sous-entendant, a contrario, que ceux qui ne pensaient pas comme eux étaient forcément dans l'erreur ou, pire, ne respectaient pas le droit constitutionnel français).

Ce mélange des genres a déjà été dénoncé par le passé ; le fait qu'il perdure est susceptible de discréditer l'ensemble des publications universitaires. Il me semble qu'une solution serait d'abandonner l'idée fausse que la doctrine a pour fonction de décrire le droit de manière neutre et d'avoir l'honnêteté intellectuelle de dire d'où l'on parle lorsque l'on écrit sur commande.

Jean-Pascal Chazal, Professeur des Universités, École de droit de Sciences Po
Recueil Dalloz, N° 16 du 26 avril 2018 p.841

vendredi 13 avril 2018

304 : Interdépendance de contrats de vente commerciale et de crédit-bail : Ch. mixte, 13 avril 2018, pourvoi n° 16-21.345,

1. Arrêts rendus en matière civile

Crédit-bail – Caducité – Caducité du fait de la résolution du contrat de vente – Point de départ – Date d’effet de la résolution
Ch. mixte, 13 avril 2018, pourvoi n° 16-21.345, publié au Bulletin, rapport de M. Maunand et avis de M. Le Mesle
Ch. mixte, 13 avril 2018, pourvoi n° 16-21.947, publié au Bulletin, rapport de M. Maunand et avis de M. Le Mesle
La résolution du contrat de vente entraîne la caducité du contrat de crédit-bail ayant financé l’opération à la date d’effet de la résolution.
En conséquence, une cour d’appel, ayant prononcé la résolution de la vente à la date de sa conclusion, a retenu à bon droit que les clauses de garantie et de renonciation à recours prévues dans le contrat de crédit-bail en cas de résiliation de la vente étaient inapplicables et que le crédit-preneur devait restituer le bien financé au prêteur, qui devait lui restituer les loyers.
Par le présent arrêt, la Cour de cassation juge que l’anéantissement du contrat de vente entraîne la caducité du contrat de crédit-bail ayant financé l’opération.
Tout d’abord, saisie du pourvoi du vendeur contre l’arrêt qui avait prononcé la résolution de la vente pour manquement à l’obligation de délivrance conforme, la Cour de cassation juge que, lorsqu’une demande est formée en ce sens devant eux, les juges du fond doivent rechercher si la gravité du manquement allégué justifie le prononcé de la résolution de la vente et qu’une telle recherche n’est pas inopérante au regard du seul constat de ce manquement.
Par ailleurs, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la banque contre l’arrêt qui avait prononcé la caducité du contrat de crédit-bail et l’avait condamnée à restituer au crédit-preneur les loyers perçus.
Le contrat de crédit-bail mobilier, prévu à l’article L. 313-7 du code monétaire et financier, est un contrat de louage d’un matériel professionnel, qui permet au preneur de jouir immédiatement du bien en contrepartie du paiement d’un loyer, assorti d’une promesse unilatérale de vente (option d’achat) qui permet au locataire d’accéder à la propriété du bien en fin de contrat pour un prix déterminé à l’avance et prenant pour partie en compte les loyers versés.
Ce mode de financement coexiste avec la location financière mais s’en distingue en ce que celle-ci ne comprend pas d’option d’achat. La location financière concerne des biens que l’utilisateur n’envisage pas d’acquérir car ils deviennent rapidement obsolètes, comme le matériel informatique. La durée du contrat est irrévocable et celui-ci n’est pas soumis à la réglementation bancaire.
Depuis trois arrêts rendus en chambre mixte le 23 novembre 1990, la Cour de cassation jugeait que la résolution du contrat de vente entraînait nécessairement la résiliation du contrat de crédit-bail, sous réserve de l’application de clauses ayant pour objet de régler les conséquences de cette résiliation (Ch. mixte, 23 novembre 1990, pourvoi n° 86-19.396, Bull. 1990, Ch. mixte, n° 3 ; Ch. mixte, 23 novembre 1990, pourvoi n° 88-16.883, Bull. 1990, Ch. mixte, n° 3 ; Ch. mixte, 23 novembre 1990, pourvoi n° 87-17.044, Bull. 1990, Ch. mixte, n° 2).
Cette solution était réaffirmée constamment depuis cette date (Com., 12 octobre 1993, pourvoi n° 91-17.621, Bull. 1993, IV, n° 327 ; Com., 28 janvier 2003, pourvoi n° 01-00.330 ; Com., 14 décembre 2010, pourvoi n° 09-15.992).
Le sort du contrat de location financière a, quant à lui, été réglé par deux arrêts rendus en chambre mixte qui ont jugé que les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants et que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance (Ch. mixte, 17 mai 2013, pourvoi n° 11-22.768, Bull. 2013, Ch. mixte, n° 1, et Ch. mixte, 17 mai 2013, pourvoi n° 11-22.927, Bull. 2013, Ch. mixte, n° 1).
À la suite de ces arrêts, la chambre commerciale de la Cour de cassation a été amenée à préciser que, lorsque des contrats sont interdépendants, la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne, par voie de conséquence, la caducité des autres (Com., 12 juillet 2017, pourvoi n° 15-23.552, publié au Bulletin ; Com., 12 juillet 2017, pourvoi n° 15-27.703, publié au Bulletin).
En raison de la spécificité du contrat de crédit-bail mobilier, à l’issue duquel le crédit-preneur a vocation à devenir propriétaire du bien ainsi financé, la jurisprudence relative aux groupes de contrats interdépendants n’est pas transposable, le contrat de crédit-bail étant accessoire au contrat de vente.
Cependant, la Cour de cassation a relevé que la caducité, qui n’affecte pas la formation du contrat et peut intervenir à un moment où celui-ci a reçu un commencement d’exécution et qui diffère de la résolution ou de la résiliation en ce qu’elle ne sanctionne pas une inexécution du contrat de crédit-bail mais la disparition de l’un de ses éléments essentiels, à savoir le contrat principal en considération duquel il a été conclu, constituait la mesure adaptée.
La Cour de cassation a donc décidé de modifier sa jurisprudence et de juger désormais que la résolution du contrat de vente entraîne, par voie de conséquence, la caducité du contrat de crédit-bail. Elle a précisé que la caducité intervenait à la date d’effet de la résolution, laquelle est le plus souvent la date de conclusion du contrat de vente, sauf notamment les cas où le contrat se réalise par tranches et où la caducité pourra être constatée à une date postérieure à celle de la conclusion du contrat. Elle en a tiré pour conséquence que les clauses prévues en cas de résiliation du contrat étaient inapplicables et que la banque devait restituer au crédit-preneur les loyers que celui-ci lui avait versés.

jeudi 5 avril 2018

369 : Faute de la banque débloquant les fonds sans vérifier la validité de la vente Cass. 1e civ. 5-4-2018 n° 17-13528,

[1] - Crédit lié : faute de la banque débloquant les fonds sans vérifier la validité de la vente

Cass. 1e civ. 5-4-2018 n° 17-13528,

En cas de crédit lié à une vente hors établissement, la banque qui verse les fonds sans vérifier la validité du bon de commande au regard des règles du Code de la consommation commet une faute la privant de la restitution du capital prêté.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant : 



Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 1147 du code civil, ensemble l'article L. 121-23 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 26 avril 2012, à la suite d'un démarchage à domicile, Mme X... et Mme Y... (les acquéreurs) ont commandé des panneaux photovoltaïques, pour un prix de 23 500 euros, à la société Photoclim (le vendeur), désormais placée en liquidation judiciaire et représentée par la société Christophe Basse (le liquidateur judiciaire) ; que, le même jour, en vue de financer cette acquisition, elles ont souscrit un prêt auprès de la société Solféa, aux droits de laquelle se trouve la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) ; qu'invoquant des dysfonctionnements, les acquéreurs ont assigné le liquidateur judiciaire et la banque en annulation du contrat de vente et du contrat de prêt, ainsi qu'en indemnisation de leur préjudice ; que la banque a sollicité reconventionnellement la restitution du capital emprunté ;

Attendu que, pour condamner les acquéreurs in solidum à restituer le capital emprunté, après avoir annulé le contrats de vente et de prêt, l'arrêt retient qu'au vu de l'attestation de livraison, qui est dépourvue d'ambiguïté et fait état de l'exécution des travaux à l'exception du raccordement, la banque, sur laquelle ne pesait aucune obligation de procéder à de plus amples vérifications, a pu se convaincre de l'exécution du contrat principal, de sorte qu'elle n'a commis aucune faute en remettant les fonds au vendeur ;

Qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que le bon de commande des panneaux photovoltaïques avait été établi en méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-23 du code de la consommation, ce dont il résultait qu'en versant les fonds au vendeur sans procéder préalablement aux vérifications nécessaires qui lui auraient permis de constater que le contrat de vente était affecté d'une cause de nullité, la banque avait commis une faute qui la privait de sa créance de restitution, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu'il convient de prononcer, sur sa demande, la mise hors de cause de la société Chistophe Basse, ès qualités, dont la présence n'est pas nécessaire devant la juridiction de renvoi ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE,