mardi 19 décembre 2006

Société en nom collectif - Associés - Dettes sociales - com 19 décembre 2006 , pourvoi n° 02-21.333

Société en nom collectif - Associés - Dettes sociales - Paiement - Action en recouvrement de l’impôt - Mise en demeure préalable de la société - Nécessité - Exception

Chambre commerciale, 19 décembre 2006 (pourvoi n° 02-21.333)

L’arrêt du 19 décembre 2006 précise les conditions de recouvrement des créances auprès des associés d’une société en nom collectif, tenus du passif social.
Le litige à l’origine du pourvoi présentait deux particularités : d’une part, les dettes de la société étaient fiscales, de sorte que leur recouvrement était confié à un comptable public soumis aux règles du livre des procédures fiscales ; d’autre part, la société débitrice faisait l’objet d’une procédure collective, ce qui avait pour conséquence de suspendre ou d’interdire toute poursuite à son encontre de la part des créanciers ; mais cette procédure collective n’avait pas été étendue à l’un des associés contrairement à l’article L. 624-1 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises.
Le comptable avait déclaré sa créance à la procédure collective et étant ainsi dans l’impossibilité de la recouvrer contre la société, avait dirigé les poursuites en direction du seul associé demeuré à la tête de ses biens, sans toutefois avoir mis en demeure la société dans les termes de l’article L. 221-1 du code de commerce.
Se posait alors la question de savoir si ce texte, qui impose au créancier d’une société en nom collectif la vaine mise en demeure de la société par acte extrajudiciaire avant de poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé, devait recevoir application.
Le comptable soutenait que tant la déclaration de sa créance à la procédure collective que la règle fiscale prévue par l’article L. 257 du Livre des procédures fiscales le dispensaient d’observer la formalité de l’article L. 221-1 précité.
Aux termes du premier de ces textes, "à défaut de paiement des sommes mentionnées sur l’avis de mise en recouvrement (...). Le comptable chargé du recouvrement notifie une mise en demeure par pli recommandé avec avis de réception avant l’engagement des poursuites".
Confrontée à une double obligation légale de mise en demeure de la société débitrice lorsque la dette est fiscale et qu’elle est recouvrée par un comptable des impôts ou des douanes, la Cour devait dire si la mise en demeure de l’article L. 257 pouvait se substituer à la mise en demeure de l’article L. 221-1.
Elle répond par la négative, imposant ainsi au comptable la délivrance de deux mises en demeure.
Le rapprochement des deux textes révèle en effet qu’on ne peut prêter au texte fiscal un quelconque effet dérogatoire au texte du droit des sociétés, les deux dispositions, qui n’offrent pas les mêmes garanties aux personnes poursuivies, ne régissant pas les mêmes situations.
L’obligation de mise en demeure du redevable instituée par l’article L.257 constitue le préalable à la mise en recouvrement de la créance fiscale à l’égard du redevable lui-même, en l’espèce la société en nom collectif.
L’article L. 221-1, en revanche, institue une obligation de mise en demeure de la société en nom collectif préalable à l’exercice des poursuites contre les associés. Cette mise en demeure doit être faite par voie d’huissier, comme l’impose la notion d’acte extrajudiciaire, alors que, dans le premier cas, une lettre recommandée suffit.
L’article L. 257, qui n’a pas pour objet de régir les relations triangulaires entre la société, ses associés et leur créancier commun, ne peut se substituer à l’article L.221-1, dont la spécificité est d’assurer aux associés en nom la garantie attachée à une mise en demeure par voie d’huissier.
Il résulte ainsi des textes applicables, que dans l’absolu, une double obligation de mise en demeure pèse sur le comptable. Cependant, dès lors qu’une procédure collective a été ouverte à l’égard de la société en nom collectif avant l’engagement des poursuites contre les associés, la déclaration de créance, qui vaut mise en demeure, rend inutile la délivrance d’une mise en demeure par acte extrajudiciaire à cette même société.
L’assimilation de la déclaration de créance à une mise en demeure ne surprend pas. La Cour de cassation a déjà jugé que la déclaration de créance équivalait à une demande en justice (Com., 15 octobre 1991, Bull., IV, n° 297 ; Com., 14 décembre 1993, Bull., IV, n° 471) laquelle vaut mise en demeure. La solution apparaissait déjà en filigrane dans un arrêt non publié du 9 janvier 2001 de la Chambre commerciale (pourvoi n° 98-10.761).
Saisie de deux moyens, ayant trait pour l’un au droit fiscal et pour l’autre, au droit des procédures collectives, la Cour de cassation a été désireuse de faire oeuvre de synthèse et de dégager une solution propre à éclairer les exigences spécifiques de la procédure fiscale tout en soulignant les contingences nées de l’ouverture d’une procédure collective.
Bien que rendue sous l’empire du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, la solution n’en conserve pas moins un intérêt sous l’empire de la loi du 26 juillet 2005 : certains auteurs soulignent en effet que "l’abandon du principe d’extinction des créances non déclarées" aggraverait "le risque d’un recours contre les associés tenus du passif social"(M. Barbiéri, Revue des Sociétés 2006, p. 410). Ainsi la question de la forme de la mise en demeure adressée à une société en nom collectif avant l’engagement des poursuites contre les associés en nom demeure toujours d’actualité.

En savoir plus :
SDER, Les grands arrêts du droit des sociétés, Les éditions RJCC. juillet 2020, 46 pages. (Prix 0,99)

vendredi 6 octobre 2006

404 : Ass. plén., 6 octobre 2006, Dommage causé par un manquement contractuel. Obs. CC


Le 6 octobre 2006, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a rendu un arrêt connu sous le nom d’arrêt Boot shop ou Myr’ho (Ass. plén., 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255, Bull. 2006, Ass. plén, n° 9) par lequel elle retenait que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

Responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle - Dommage - Réparation - Obligation - Bénéficiaires -Tiers à un contrat - Conditions - Dommage causé par un manquement contractuel. 
(Assemblée plénière, 6 octobre 2006, Bull n° 9, p. 23, BICC n° 651, p. 40, rapport de M Assié et avis de M. Gariazzo) 
Depuis plusieurs années une controverse s’était développée sur les conditions d’exercice de l’action en responsabilité du tiers, victime de l’exécution défectueuse d’un contrat. Un premier courant jurisprudentiel, représenté essentiellement par la chambre commerciale de la Cour de cassation, appuyée par la doctrine majoritaire, considérait, dans le premier état de sa jurisprudence, "qu’un tiers ne peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, se prévaloir de l’inexécution d’un contrat qu’à la condition que cette inexécution constitue un manquement à son égard au devoir général de ne pas nuire à autrui" (Com., 5 avril 2005, Bull., IV, n° 81). Un courant jurisprudentiel beaucoup plus nourri que le précédent, bien que soutenu par une doctrine minoritaire, paraissait s’en tenir à une approche purement unitaire des fautes contractuelles et délictuelles, ou plus largement, des manquements contractuels ou délictuels. C’est ainsi que la première chambre civile de la Cour de cassation retenait que "les tiers à un contrat sont fondés à invoquer l’exécution défectueuse de celui-ci lorsqu’elle leur cause un préjudice" (1re Civ., 15 décembre 1998, Bull., I, n° 368) et que, franchissant un pas de plus, elle avait ajouté à cet "attendu" de principe "sans avoir à rapporter d’autres preuves" (1re Civ., 18 juillet 2000, Bull., I, n° 221 ; 1re Civ., 13 février 2001, Bull., I, n° 35). Les deuxième et troisième chambres civiles avaient adopté des positions voisines (2è Civ., 23 octobre 2003, Bull., II, n° 330 ; 3è Civ., 6 janvier 1999, Bull., III, n° 3). L’assemblée plénière de la Cour de cassation, même si la question ne lui avait pas été directement posée, paraissait s’être aussi ralliée à ce courant jurisprudentiel dans l’arrêt "Perruche" (Assemblée plénière, 17 novembre 2000, Bull. ass. plén., n° 9), ainsi que dans trois arrêts subséquents précisant les conditions d’indemnisation des tiers victimes de fautes médicales (Assemblée plénière, 13 juillet 2001, Bull. ass. plén., n° 10).


En posant pour principe que "le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage" l’arrêt rendu par l’assemblée plénière le 6 octobre 2006 met fin à ces incertitudes.
Cet arrêt est riche d’enseignements à plusieurs titres.
Tout d’abord, en rappelant le fondement délictuel de l’action du tiers, victime de l’exécution défectueuse d’un contrat, il invite les juges du fond à rechercher, sous le contrôle de la Cour de cassation, si les conditions d’une telle responsabilité se trouvent bien réunies. Autrement dit, le juge devra s’assurer, au cas par cas, de l’existence d’un fait générateur de responsabilité (faute, ou plus largement, manquement à une obligation de résultat), de la réalité du dommage allégué et du lien de causalité entre le manquement contractuel et le dommage causé aux tiers.
Mais au-delà de cette recherche traditionnelle imposée aux juges du fond, l’arrêt permet de prendre en considération la portée à l’égard des tiers de l’obligation transgressée par le contractant. Il est, en effet, des obligations souscrites au profit du seul contractant dont le tiers n’a pas vocation à bénéficier et tel est le cas de l’obligation de non concurrence qui ne profite en principe qu’au créancier de cette obligation. Mais cette même obligation peut, dans certains cas particuliers, concerner un tiers qui devient ainsi "tiers intéressé" et tel était le cas dans l’espèce soumise à l’assemblée plénière où le locataire-gérant exploitait son fond de commerce dans des locaux appartenant au bailleur de sorte qu’il pouvait se prévaloir des défaillances de celui-ci dans l’entretien de l’immeuble. Enfin, il est des obligations qui, en raison de leur objet, dépassent le seul enjeu contractuel et qui, en tant que telles, sont susceptibles d’intéresser tous les tiers des lors qu’ils ont eu à souffrir de leur transgression. Tel est le cas d’une obligation de sécurité de résultat. Il en résulte que la portée de l’obligation transgressée conditionnera l’existence du fait générateur de responsabilité à l’égard des tiers.
Le troisième enseignement que l’on peut tirer de cet arrêt est de la faute, ou le manquement, dérive toujours du contrat. Ce qui revient à dire qu’il n’y a pas de dualité de faute car c’est la même faute, ou le même manquement, qui est susceptible d’être invoqué par l’un des contractants ou par le tiers, sauf que lorsque le manquement est invoqué par un tiers, il prend que ce seul fait une coloration délictuelle de sorte que le principe de l’effet relatif des conventions posé par l’article 1165 du code civil se trouve ainsi préservé.