2. La réduction du prix du contrat en cas d'exécution imparfaite : un pas en avant, deux pas en arrière ?
par Pierre
Lemay
Le vote de la loi de ratification de l'ordonnance du 10 février
2016 portant réforme du droit des contrats s'est avéré plus compliqué et plus
long que prévu, un accord en commission mixte paritaire sur les dispositions
les plus discutées n'ayant été trouvé que le 14 mars dernier. Alors que
certains en appelaient à une ratification sèche (N. Molfessis, Pour une
ratification sèche de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit
des contrats, JCP 2017, n° 41, p. 1794), validant par là même l'ordonnance sans
y toucher, la réalité fut tout autre puisque les parlementaires ont eu la
volonté de modifier, parfois en substance, la réforme entrée en vigueur le 1er
octobre 2016. Certains textes ont ainsi été placés sur le devant de la scène,
comme la définition du contrat d'adhésion afin de réduire le champ
d'application du « déséquilibre significatif » que prévoit l'article 1171 (T.
Revet, L'incohérent cantonnement, par l'Assemblée nationale, du domaine du
contrat d'adhésion aux contrats de masse, D. 2018. 124 ) ou encore le mécanisme
instituant l'imprévision en droit français. D'autres, en revanche, sont restés
en coulisses, alors même qu'ils ont été retouchés. C'est le cas de l'article
1223 du code civil.
Nouvellement créé par l'ordonnance, ce texte prévoit une sanction
inconnue jusqu'alors en droit commun en cas de mauvaise exécution du contrat, à
savoir la réduction du prix. L'article tel qu'issu de l'ordonnance prévoyait
que « le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution
imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix. S'il
n'a pas encore payé, le créancier notifie sa décision de réduire le prix dans
les meilleurs délais ».
Au lendemain de la publication de l'ordonnance, cet article avait
déjà suscité une question : cette réduction du prix peut-elle être effectuée
unilatéralement ou est-il nécessaire que le créancier saisisse le juge ou
obtienne l'accord du débiteur (G. Chantepie et M. Latina, La réforme du droit
des obligations, Dalloz, 2016, p. 556) ? Il y avait un conflit ouvert entre la
lettre de l'article, qui utilise l'expression « solliciter la réduction du prix
», et son esprit, plutôt favorable aux prérogatives unilatérales, comme en
témoigne la substance générale de l'ordonnance, laquelle consacre, notamment,
la rupture unilatérale du contrat pour faute ou encore la fixation unilatérale
du prix dans les contrats-cadres (A. Etienney-de Sainte Marie, La validité des
prérogatives contractuelles après la réforme du droit des contrats, D. 2017.
1312 ). Si une lecture exégétique devait conduire à exclure la possibilité
d'une réduction unilatérale, une interprétation plus globale du texte
aboutissait à la solution inverse. Le rapport accompagnant l'ordonnance
concluait d'ailleurs en ce sens puisqu'il y est précisé que « le créancier
devra ensuite notifier à son débiteur (...) sa décision de réduire le prix ».
Autrement dit, le créancier, seul, réduit le prix, sauf hypothèse où il s'en
est déjà acquitté (G. Chantepie, Réduction du prix et résolution par
notification, in La réforme du droit des contrats en pratique, dir. M. Latina,
Dalloz, 2017, p. 85).
Estimant les termes de l'article trop sibyllins, sénateurs et
députés les ont modifiés, mais le résultat n'est pas à la hauteur des
espérances que l'on pouvait nourrir. En première lecture, les sénateurs avaient
prévu que « le créancier de l'obligation peut (...) décider une réduction
proportionnelle du prix ». L'horizon s'éclaircissait : il s'agissait bel et
bien d'une prérogative unilatérale. Puis les députés ont changé, à leur tour,
la formulation. Ainsi, dans leur version, le créancier peut « notifier au
débiteur sa décision d'en réduire de manière proportionnelle le prix dans les
meilleurs délais ». Cette mouture précise néanmoins, dans la foulée, que «
l'acceptation par le débiteur de la décision de réduction de prix du créancier
doit être rédigée par écrit et met définitivement fin à la contestation ».
Cette rédaction ajoutait donc un nouvel élément : par principe, le débiteur qui
accepte une telle réduction ne peut plus par la suite s'en plaindre.
Cette formule sera reprise par les sénateurs, mais partiellement.
Ainsi, le nouvel article 1223 précise dorénavant que le créancier « peut (...)
notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision d'en réduire de
manière proportionnelle le prix. L'acceptation par le débiteur de la décision
de réduction de prix du créancier doit être rédigée par écrit. Si le créancier
a déjà payé, à défaut d'accord entre les parties, il peut demander au juge la
réduction de prix ».
En parallèle à cette réécriture, l'article 1217, disposition qui
établit une liste des sanctions en cas d'inexécution, a lui aussi subi une
modification en lien avec l'article 1223 : alors qu'il prévoyait que le
créancier « sollicite » une réduction du prix, il mentionne désormais qu'il
peut l'« obtenir ». La différence est ténue. Le verbe « obtenir » signifie,
selon le dictionnaire Larousse, « réussir à se faire accorder ce que l'on
désire ». Or, pour se faire accorder quelque chose, il faut déjà le solliciter.
Le changement de terme opéré n'est donc pas réellement décisif.
La lecture et l'analyse de ces deux textes, et surtout de
l'article 1223, laissent ainsi songeur. Leur reformulation a-t-elle eu pour
effet de confirmer le caractère unilatéral de la sanction ou, au contraire, de
le supprimer ? À quoi sert l'acceptation de la réduction du prix par le
débiteur ? En somme, s'agit-il toujours d'un mécanisme unilatéral ?
Car, de deux choses l'une, soit l'acceptation que vise le texte
conditionne la réduction du prix, et, alors, elle n'est plus unilatérale et
s'apparente à une modification d'un commun accord du contrat ; soit ce n'est
pas le cas, et la réduction peut être effectuée sans l'accord du débiteur.
Mais, si cette dernière hypothèse est préférée, à quoi sert la fin de l'alinéa
1er de l'article 1223 ? Pire encore, le choix du présent de l'indicatif («
l'acceptation (...) doit être rédigée par écrit ») vaut impératif, de telle
sorte que l'on pourrait se demander si, au-delà de la forme revêtue,
l'acceptation du débiteur ne doit pas nécessairement être obtenue. Le flou
qu'il s'agissait de dissiper s'accentue, en fin de compte, au fur et à mesure
que l'analyse progresse.
En réalité, pour sortir de l'impasse et articuler les deux phrases
du nouvel alinéa 1er de l'article 1223, il faut revenir un instant sur le texte
issu du premier vote devant l'Assemblée nationale. C'est à cette occasion que
la référence à l'acceptation du débiteur fait son apparition. Or cet ajout
était justifié par le fait que cette acceptation privait, par principe, le
débiteur de contester par la suite le bien-fondé de cette réduction. Les
sénateurs n'ont pas été convaincus par l'idée que le débiteur soit privé du
droit d'agir contre la réduction du prix lorsqu'il l'a acceptée et ont donc
supprimé cette précision. Le rapport déposé au Sénat est, à cet égard, sans
équivoque (Rapp. n° 247 de François Pillet, déposé le 24 janv. 2018, art. 9).
Pour autant, le Sénat a conservé l'alinéa relatif à l'acceptation du débiteur,
sans que l'on puisse déterminer quel effet juridique une telle acceptation
produit. Une chose semble certaine toutefois, l'acceptation n'est pas érigée en
condition de validité de la réduction du prix. Autrement dit, la bonne
compréhension du nouveau texte suppose la lecture des motifs de la suppression
orchestrée par les sénateurs : bien que le texte voté prête encore à confusion,
ces derniers n'ont pas eu dans l'idée de remettre en cause le caractère
unilatéral de la réduction du prix. L'article 1223 met donc bel et bien sur
pied une nouvelle prérogative unilatérale à la guise du créancier.
Le doute est levé, mais à quel prix !
Pierre Lemay, Maître de conférences
en droit privé, Université de Lille,
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P. Lemay, La réduction du prix du contrat en cas
d'inexécution imparfaite : un pas en avant, deux pas en arrière ?, D. 2018. 567
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