jeudi 28 juin 2018

316 : Sanction de la violation d’un pacte entre associés de SAS prévue par les statuts, par B. DONDERO




3. Sanction de la violation d’un pacte entre associés de SAS prévue par les statuts,

note sous Cass. com., 27 juin 2018, par Bruno DONDERO



Les associés d’une SAS avaient conclu un pacte, qui comportait de la part de certains associés (les « managers ») une promesse de vendre leurs actions aux autres en cas de cessation de leurs fonctions salariées au sein de la société ou de l’une de ses filiales. Cet engagement était doublé d’une interdiction de céder les titres objet de la promesse pendant toute sa durée.
L’un des managers cédait néanmoins ses actions à des tiers, et la SAS, par la voix de son dirigeant, refusait d’enregistrer les ordres de mouvement correspondant aux cessions, au motif que celles-ci contrevenaient au pacte (celui-ci avait été conclu, assez classiquement, « en présence » de la société). Les statuts de la SAS stipulaient que les cessions conclues en violation du pacte étaient frappées de nullité.

Cela n’empêchait pas les juges du fond saisis du litige d’ordonner à la SAS de signer les ordres de mouvement. La cour d’appel accordait de l’importance à un élément assez étonnant, qui était la « résiliation de la promesse de vente contenue dans le pacte ». L’associé partie au pacte avait semble-t-il décidé de s’affranchir de cette partie de la convention, en déclarant qu’il mettait fin à la promesse, avant de céder ses actions à des tiers… La cour d’appel considérait que cette résiliation était « un fait juridique constant » qu’elle devait « nécessairement prendre en compte », et elle reprochait au pacte de ne pas prévoir de sanction en cas de résiliation anticipée. Mais prévoir une telle sanction aurait été reconnaître que la résiliation anticipée était possible, alors que les parties avaient voulu exclure cela, sauf modification de leur accord.

On se souvient qu’il y a une dizaine d’années, la Cour de cassation avait laissé entendre que les pactes d’actionnaires qui n’avaient pas une durée déterminée autre que celle calculée en fonction de la détention des actions de la société pouvaient être anéantis assez simplement par une partie, par le biais de la résiliation du pacte (Cass. com., 6 nov. 2007). Simplement, la promesse dont il était question dans l’affaire soumise à la Cour de cassation en 2018 avait été consentie pour une durée de dix ans à compter de la signature du pacte. Il n’était donc pas question de pouvoir résilier une partie de la convention parce qu’elle aurait été à durée indéterminée.

La Cour de cassation casse par conséquent l’arrêt d’appel pour violation de la loi, précisément pour violation de l’art. 1134 ancien du Code civil (« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel (…)« ). Ces règles se retrouvent aujourd’hui, après l’ordonnance du 10 févr. 2016, aux articles 1103 et 1193 du Code.

La Chambre commerciale juge que « la révocation unilatérale de la promesse et, par suite, la cession litigieuse constituaient une violation du pacte d’associés entraînant la nullité de la cession » faite aux tiers, nullité fondée sur les statuts de la SAS.
Les enseignements.

Premier enseignement: lorsque le pacte n’est pas à durée indéterminée, il n’est pas possible à une partie de décider unilatéralement qu’elle procède à sa résiliation. Si une partie procède ainsi, la cession qu’elle pourrait réaliser ensuite se ferait en violation du pacte, avec les conséquences d’une telle violation: responsabilité civile, remise en cause de la cession, etc. Cette remise en cause trouve un fondement, aujourd’hui, à l’art. 1124 du Code civil relatif à la promesse unilatérale de contrat, qui dispose que « Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul« . A contrario, la bonne foi du tiers le protège.

Second enseignement: les statuts d’une SAS peuvent prévoir qu’une cession d’actions intervenue en violation d’un pacte est nulle. L’art. L. 227-15 du Code de commerce dispose que « Toute cession [d’actions de SAS] effectuée en violation des clauses statutaires est nulle« , mais la nullité pourrait-elle découler de la violation, précisément, d’une clause ne figurant pas dans les statuts ?

La décision rendue le 27 juin 2018 répond de manière affirmative, ce qui laisse entendre que les clauses statutaires pourraient opérer un renvoi à des stipulations extérieures, comme un pacte, donc, un règlement intérieur ou une autre convention. La solution apparaît assez audacieuse au regard de la lettre de l’art. L. 227-15 du Code de commerce… mais on parvient à la même solution, pour les promesses, avec le droit commun en réalité: l’art. 1124 du Code civil dispose aujourd’hui que le contrat conclu en violation d’une promesse unilatérale est nul, lorsque le cocontractant connaissait l’existence de la promesse. Or la référence faite par les statuts de la société dont les actions sont cédées à un pacte peut justement être de nature à donner connaissance au tiers de l’existence d’une promesse et à permettre l’application de la sanction de nullité.

source:

Bruno DONDERO, Sanction de la violation d’un pacte entre associés de SAS prévue par les statuts (notesous Cass. com., 27 juin 2018, n° 16-14097), Le blog du professeur Bruno Dondero, le 28 juin 2018




mardi 29 mai 2018

553 : Trouble anormal et responsabilité de l'entreprise de travaux publics : 3e Civ., 8 novembre 2018, pourvoi n° 17-24.333, 17-26.120 (FS-P+B+I)

 Architecte entrepreneur

3e Civ., 8 novembre 2018, pourvoi n° 17-24.333, 17-26.120 (FS-P+B+I)


Sommaire

En application du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, un entrepreneur, y compris de travaux publics, est responsable de plein droit vis-à-vis des voisins victimes pour avoir exercé une activité en relation directe avec le trouble anormal causé, nonobstant le fait que l'origine du dommage, causé par un véhicule, soit située sur le domaine public.

Titres

ARCHITECTE ENTREPRENEUR
Responsabilité - Responsabilité à l'égard des tiers - Troubles anormaux du voisinage - Responsabilité de plein droit - Conditions - Relation directe entre les travaux et le trouble occasionné - Applications diverses - Dommage causé par un engin de chantier situé sur le domaine public.
ARCHITECTE ENTREPRENEUR - Responsabilité - Responsabilité à l'égard des tiers - Troubles anormaux du voisinage - Responsabilité de plein droit - Domaine d'application - Dommage causé par une opération de travaux publics
PROPRIETE - Droit de propriété - Atteinte - Applications diverses - Troubles anormaux du voisinage - Troubles causés par une opération de construction - Responsabilité de l'entrepreneur - Responsabilité de plein droit - Applications diverses - Dommage causé par un engin de chantier situé sur le domaine public

Doctrine

- W. Dross, « La théorie des troubles du voisinage a-t-elle encore quelque chose à voir avec le droit des biens ? », RTD civ. 2019,p.140 ;

- « Arrachement d'une conduite de gaz suivi d'une explosion et d'un incendie », Responsabilité civile et assurances, 2019, n° 2, p. 60 ;
-  J-M. Roux, « Droit foncier privé », Annales des loyers 2019, n° 1, p. 36 ;
-  C. Charbonneau, « Extension des troubles anormaux de voisinage au-delà du chantier », RD imm., 11 mars 2019, n° 3, p. 167 ;
-  M-L. Pagès-de Varenne, « Trouble anormal et responsabilité de l'entreprise de travaux publics »,
Construction – Urbanisme, 1er février 2019, n° 2, comm. 7 ;
- « Responsabilité délictuelle - Responsabilité pour trouble anormal de voisinage – Champ d'application - Trouble causé par les travaux réalisés par un entrepreneur », RJDA 2019, p.57 ;
-J-M Roux, « Droit foncier privé. Novembre 2018 », Annales des Loyers 2019, p.36 ;

jeudi 17 mai 2018

142 : Primauté du droit de propriété sur le droit au respect du domicile: Cass. 3e civ. 17-5-2018 no 16-15792 FP-PBRI

Arrêt n° 475 du 17 mai 2018 (16-15.792) - Cour de cassation - Troisième chambre civile


d. Primauté du droit de propriété sur le droit au respect du domicile


Obs, sous Cass. 3e civ. 17-5-2018 no 16-15792 FP-PBRI



Le véritable propriétaire d’un terrain sur lequel a été construite une maison est en droit d’exiger la démolition et l’expulsion de ses occupants même si ceux-ci sont âgés et y vivent depuis plus de vingt ans.
Des époux revendiquent auprès d’un particulier la propriété d’un terrain qu’ils occupent et sur lequel ils ont construit une maison, se prévalant de la prescription trentenaire (C. civ. art. 2272). Le particulier leur oppose un titre de propriété sur le même terrain et demande la libération des lieux et la démolition de la maison.
Les époux contestent en invoquant le droit au respect du domicile, protégé par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (Conv. EDH) ; ils considèrent que l’atteinte qui serait portée à leur droit serait disproportionnée, compte tenu de l’ancienneté de leur occupation (la maison était construite depuis plus de vingt ans) et de leur vulnérabilité (un époux est décédé pendant l’instance d’appel et le conjoint survivant a 87 ans).
La Cour de cassation[1] fait néanmoins droit à la demande de libération des lieux et de démolition en se fondant sur le raisonnement suivant :
-       Les mesures d’expulsion et de démolition d’un bien construit illégalement sur le terrain d’autrui caractérisent une ingérence dans le droit au respect du domicile de l’occupant, droit protégé par l’article 8 de la conv. EDH ;
-       Une telle ingérence est fondée sur l’article 544 du Code civil, selon lequel la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements, et sur l’article 545 du même Code, selon lequel nul ne peut être contraint de céder sa propriété ;
-       Cette ingérence vise à garantir au propriétaire du terrain le droit au respect de ses biens, protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et par l’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la conv. EDH ;
-       L’expulsion et la démolition étant les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien, l’ingérence qui en résulte ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété.
Par suite, dès lors qu’il résultait d’un acte notarié de partage que le particulier était bien propriétaire de la parcelle et que les époux n’apportaient pas la preuve d’une prescription trentenaire, la libération des lieux et la démolition de l’ouvrage étaient justifiées.


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