3. Sanction de la violation d’un pacte entre associés de SAS prévue par les statuts,
note sous Cass. com., 27 juin 2018, par Bruno DONDERO
Les
associés d’une SAS avaient conclu un pacte, qui comportait de la part de
certains associés (les « managers ») une promesse de vendre leurs actions aux
autres en cas de cessation de leurs fonctions salariées au sein de la société
ou de l’une de ses filiales. Cet engagement était doublé d’une interdiction de
céder les titres objet de la promesse pendant toute sa durée.
L’un des
managers cédait néanmoins ses actions à des tiers, et la SAS, par la voix de
son dirigeant, refusait d’enregistrer les ordres de mouvement correspondant aux
cessions, au motif que celles-ci contrevenaient au pacte (celui-ci avait été
conclu, assez classiquement, « en présence » de la société). Les statuts de la
SAS stipulaient que les cessions conclues en violation du pacte étaient
frappées de nullité.
Cela
n’empêchait pas les juges du fond saisis du litige d’ordonner à la SAS de
signer les ordres de mouvement. La cour d’appel accordait de l’importance à un
élément assez étonnant, qui était la « résiliation de la promesse de vente
contenue dans le pacte ». L’associé partie au pacte avait semble-t-il décidé de
s’affranchir de cette partie de la convention, en déclarant qu’il mettait fin à
la promesse, avant de céder ses actions à des tiers… La cour d’appel considérait
que cette résiliation était « un fait juridique constant » qu’elle devait «
nécessairement prendre en compte », et elle reprochait au pacte de ne pas
prévoir de sanction en cas de résiliation anticipée. Mais prévoir une telle
sanction aurait été reconnaître que la résiliation anticipée était possible,
alors que les parties avaient voulu exclure cela, sauf modification de leur
accord.
On se
souvient qu’il y a une dizaine d’années, la Cour de cassation avait laissé
entendre que les pactes d’actionnaires qui n’avaient pas une durée déterminée
autre que celle calculée en fonction de la détention des actions de la société
pouvaient être anéantis assez simplement par une partie, par le biais de la
résiliation du pacte (Cass. com., 6 nov. 2007). Simplement, la promesse dont il
était question dans l’affaire soumise à la Cour de cassation en 2018 avait été
consentie pour une durée de dix ans à compter de la signature du pacte. Il
n’était donc pas question de pouvoir résilier une partie de la convention parce
qu’elle aurait été à durée indéterminée.
La Cour
de cassation casse par conséquent l’arrêt d’appel pour violation de la loi,
précisément pour violation de l’art. 1134 ancien du Code civil (« Les
conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel (…)« ). Ces
règles se retrouvent aujourd’hui, après l’ordonnance du 10 févr. 2016, aux
articles 1103 et 1193 du Code.
La
Chambre commerciale juge que « la révocation unilatérale de la promesse et, par
suite, la cession litigieuse constituaient une violation du pacte d’associés
entraînant la nullité de la cession » faite aux tiers, nullité fondée sur les
statuts de la SAS.
Les
enseignements.
Premier
enseignement: lorsque le pacte n’est pas à durée indéterminée, il n’est pas
possible à une partie de décider unilatéralement qu’elle procède à sa
résiliation. Si une partie procède ainsi, la cession qu’elle pourrait réaliser
ensuite se ferait en violation du pacte, avec les conséquences d’une telle
violation: responsabilité civile, remise en cause de la cession, etc. Cette
remise en cause trouve un fondement, aujourd’hui, à l’art. 1124 du Code civil
relatif à la promesse unilatérale de contrat, qui dispose que « Le contrat
conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait
l’existence est nul« . A contrario, la bonne foi du tiers le protège.
Second
enseignement: les statuts d’une SAS peuvent prévoir qu’une cession d’actions
intervenue en violation d’un pacte est nulle. L’art. L. 227-15 du Code de
commerce dispose que « Toute cession [d’actions de SAS] effectuée en violation
des clauses statutaires est nulle« , mais la nullité pourrait-elle découler de
la violation, précisément, d’une clause ne figurant pas dans les statuts ?
La
décision rendue le 27 juin 2018 répond de manière affirmative, ce qui laisse
entendre que les clauses statutaires pourraient opérer un renvoi à des
stipulations extérieures, comme un pacte, donc, un règlement intérieur ou une
autre convention. La solution apparaît assez audacieuse au regard de la lettre
de l’art. L. 227-15 du Code de commerce… mais on parvient à la même solution,
pour les promesses, avec le droit commun en réalité: l’art. 1124 du Code civil
dispose aujourd’hui que le contrat conclu en violation d’une promesse
unilatérale est nul, lorsque le cocontractant connaissait l’existence de la
promesse. Or la référence faite par les statuts de la société dont les actions
sont cédées à un pacte peut justement être de nature à donner connaissance au
tiers de l’existence d’une promesse et à permettre l’application de la sanction
de nullité.
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