6. La cessation des paiements, condition variable de la liquidation judiciaire,
par Claire Ballot-Squirawski *
L'état
de cessation des paiements semble bel et bien avoir définitivement perdu « sa
valeur de démarcation » (1), comme en atteste l'arrêt rendu par la chambre
commerciale de la Cour de cassation le 28 février 2018. En l'espèce, une
société avait fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, convertie en
redressement sur le fondement de l'article L. 622-10, alinéa 3, du code de
commerce, soit avant toute cessation des paiements. Par la suite, le
redressement avait à son tour été converti en liquidation, par un jugement en
date du 11 avril 2014 et en application de l'article L. 631-15, II, alinéa 1er,
du même code. L'un des créanciers avait alors formé tierce opposition à ce
troisième jugement, arguant que l'état de cessation des paiements de la société
débitrice n'avait jamais été constaté. Le pourvoi invitait naturellement à
s'interroger sur la portée de la modification apportée par l'ordonnance n°
2008-1345 du 18 décembre 2008 à l'article L. 631-15, II, du code de commerce.
C'est qu'en effet, si initialement cet article renvoyait à l'article L. 640-1
du même code s'agissant des conditions de la conversion d'une procédure de
redressement en liquidation, il n'exige désormais plus que la vérification de
l'impossibilité manifeste pour le débiteur de se redresser (2). Faut-il alors
considérer que l'état de cessation des paiements n'est plus une condition
d'ouverture d'une procédure de liquidation par conversion ? C'est bien ce
qu'admet la Cour de cassation par le présent arrêt. Elle y approuve la cour
d'appel d'avoir énoncé que, « quelles que soient les conditions dans lesquelles
est intervenue l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, la
conversion de celle-ci en une procédure de liquidation en application de
l'article L. 631-15, II, du code de commerce (...) n'impose pas la constatation
de l'état de la cessation des paiements, seule l'impossibilité manifeste du
redressement devant être caractérisée ». La décision mérite d'être relevée car
c'est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation était
amenée à se prononcer sur l'interprétation de l'article L. 631-15, II, du code
de commerce en l'absence totale de constatation de l'état de cessation des
paiements. La solution rendue, selon laquelle cette absence est indifférente,
s'avère conforme à la rédaction dudit article, dès lors que la condition
relative à la cessation des paiements en a désormais disparu (I). Elle peut
toutefois surprendre, tant l'état de cessation des paiements semble être une
condition essentielle de la liquidation judiciaire (II).
I - La
cessation des paiements, condition absente de l'article L. 631-15
La
décision rendue par la Cour de cassation s'explique par le fait que, depuis
l'ordonnance du 18 décembre 2008, l'article L. 631-15, II, du code de commerce
ne fait plus état que de l'impossibilité manifeste pour le débiteur de se
redresser. Le prononcé de la liquidation judiciaire pendant la période d'observation
d'une procédure de redressement n'est donc plus soumis, formellement, qu'à
cette unique condition. Initialement, l'article précité renvoyait pourtant à
l'article L. 640-1 du même code dans son ensemble, de sorte que les deux
conditions relatives tant à l'état de cessation des paiements qu'au
redressement manifestement impossible devaient théoriquement être vérifiées.
Certes, la Cour de cassation avait pu dispenser les juges de la constatation de
la première condition (3). C'est qu'en effet, la procédure de redressement est
elle-même conditionnée à la constatation de la cessation des paiements, de
sorte que cet état a en principe été constaté avant la conversion. Exiger que
les juges le constatent à nouveau aurait pu paraître superflu (4). La Cour de
cassation avait donc considéré « que la cessation des paiements étant déjà
constatée lors de l'ouverture du redressement judiciaire, le renvoi opéré par
ce texte à l'article L. 640-1 [ne pouvait] viser que la condition relative à
l'impossibilité manifeste du redressement ». Par conséquent, « la cour d'appel
n'avait pas à se prononcer sur la cessation des paiements » (5). La solution se
trouvait justifiée par le fait que l'ouverture d'une procédure de redressement
était inconcevable en l'absence de cessation des paiements (6).
Mais il
reste que, depuis l'ordonnance de 2008, l'ouverture d'une procédure de
redressement est possible malgré l'absence de cessation des paiements.
L'article L. 622-10 prévoit en effet en son alinéa 3 que la conversion en
redressement judiciaire peut être prononcée « si l'adoption d'un plan de
sauvegarde est manifestement impossible et si la clôture de la procédure
conduirait, de manière certaine et à bref délai, à la cessation des paiements
». Le cas étant assez strictement encadré, l'hypothèse est relativement rare
(7). C'est néanmoins celle qui a donné lieu au présent arrêt. En l'espèce, la
conversion de la procédure de sauvegarde en redressement avait justement été
admise « sur le fondement des dispositions de l'article L. 622-10, alinéa 3, du
code de commerce », soit avant la cessation des paiements. C'est là toute la
spécificité de l'arrêt, laquelle amène à apprécier la portée réelle de la
modification opérée en 2008. Dans cette hypothèse précise, la cessation des
paiements doit-elle être constatée lors du prononcé de la liquidation
judiciaire dès lors qu'elle ne l'a pas été dans la procédure antérieure ? Ou
doit-on admettre que la procédure de liquidation peut être ouverte
indépendamment de l'absence de cessation des paiements ? En estimant que, «
quelles que soient les conditions dans lesquelles est intervenue l'ouverture de
la procédure de redressement judiciaire », « seule l'impossibilité manifeste du
redressement [doit] être caractérisée », la Cour de cassation se dirige par le
présent arrêt vers la seconde solution. L'on dépasse ici la seule question de
la constatation de la cessation des paiements. C'est plus largement et plus
simplement son indifférence en tant que condition de la conversion qui paraît
admise. La Cour de cassation ne semble du reste pas considérer que la
caractérisation du redressement manifestement impossible inclurait de facto
l'existence d'une cessation des paiements. Une telle voie aurait pu être
envisageable dès lors que cette première condition est laissée à l'appréciation
souveraine des juges du fond et ne repose pas sur des critères prédéfinis (8).
Ce n'est toutefois pas la direction que paraît emprunter la Cour de cassation,
l'affirmation selon laquelle « seule » l'impossibilité du redressement doit
être vérifiée suggérant davantage l'indifférence de l'état de cessation des
paiements. À cet égard, l'on remarquera d'ailleurs que les deux notions ne
s'apprécient pas au regard des mêmes éléments (9). La présente décision
confirme leur autonomie, l'impossibilité du redressement pouvant être
caractérisée indépendamment de la cessation des paiements. Elle semble en outre
donner sa pleine portée à la modification de l'article L. 631-15, II, du code
de commerce. Il reste qu'elle amoindrit un peu plus le rôle joué par la notion
de cessation des paiements comme colonne vertébrale du droit des procédures
collectives. Il faut alors s'interroger sur la pertinence de la solution
retenue, tant la cessation des paiements paraît être une condition essentielle
de la liquidation judiciaire.
II - La
cessation des paiements, condition essentielle de la liquidation judiciaire
La
rédaction de l'article L. 631-15, II, du code de commerce conduit sans doute à
faire de l'impossibilité du redressement la condition unique du prononcé de la
liquidation durant la période d'observation, de sorte que la présente décision
paraît formellement justifiée. Mais la modification
opérée avait-elle vraiment vocation à faire de la cessation des paiements une
condition indifférente dans cette hypothèse ? Il est difficile de se prononcer
sur ce point. En faveur d'une réponse positive, l'on peut relever que la
modification dudit article est intervenue précisément alors que la procédure de
redressement se trouvait ouverte à certains débiteurs n'étant pas encore en
état de cessation des paiements. En effet, la possibilité de convertir une
procédure de sauvegarde en redressement avant la cessation des paiements
résulte, elle aussi, de l'ordonnance de 2008. La modification de l'article L.
631-15, II, pourrait ainsi être la conséquence directe de cette ouverture, et
s'inscrirait dans le mouvement de distance pris depuis quelques années déjà
avec le critère relatif à la cessation des paiements (10). Pour autant,
plusieurs éléments peuvent faire douter de cette première interprétation. Tout
d'abord, si le rapport au président de la République relatif à l'ordonnance du
18 décembre 2008 expose les apports de la modification de l'article L. 622-10
du code de commerce, il reste silencieux quant à la modification de l'alinéa
1er de l'article L. 631-15, II, du même code. Ensuite, la doctrine n'a
semble-t-il pas interprété comme telle la nouvelle rédaction, y voyant essentiellement la prise en
compte du caractère redondant du renvoi quant à la condition relative à la
cessation des paiements (11). Ainsi, des auteurs considèrent toujours
que l'ouverture d'une procédure de liquidation suppose tant cette dernière
condition que l'impossibilité manifeste du redressement lorsqu'elle est ouverte
pendant la période d'observation d'une procédure de sauvegarde ou de
redressement (12). Enfin, la cessation des paiements demeure la condition sine
qua non d'ouverture d'une liquidation, qu'elle soit ouverte directement (13),
pendant la période d'observation d'une procédure de sauvegarde (14), ou en cas
de résolution du plan de sauvegarde ou de redressement (15). Si l'argument peut être à double
sens et illustrer la volonté du législateur d'insérer une exception,
l'on peut voir dans l'exigence constante de cette condition l'indice de son
caractère incontournable.
À ce
titre, et bien que l'interprétation de l'article L. 631-15 du code de commerce
et de son articulation avec l'article L. 622-10, alinéa 3, soit délicate, la
décision commentée présente un double inconvénient. En premier lieu, elle rend variable les conditions
d'ouverture d'une liquidation judiciaire selon la manière dont la procédure est
décidée (16). Cela est d'autant plus gênant que la conversion d'une
procédure de sauvegarde en liquidation suppose que la cessation des paiements
soit vérifiée. N'est-il pas paradoxal d'admettre que son importance devienne à
ce point relative lorsque sera intervenue entre-temps une première conversion
en redressement par application de l'article L. 622-10, alinéa 3, du code de
commerce ? La conversion d'une sauvegarde en redressement sans cessation des
paiements est motivée par le fait que la situation du débiteur est telle que la
clôture de la procédure due à l'impossibilité d'adapter un plan de sauvegarde
le conduirait rapidement et irrémédiablement à cet état (17). N'y a-t-il pas
une certaine contradiction à admettre le prononcé d'une liquidation sans que la
réalisation de cette condition ne se soit vérifiée ? Certes, l'on pourrait objecter que si le redressement
apparaît impossible, il est contre-productif d'attendre la cessation des
paiements, laquelle pourrait nuire à l'apurement du passif. Mais il
reste que la présente décision tempère l'importance d'une condition qui pouvait
pourtant paraître indispensable. C'est là son second inconvénient. Ne
peut-on pas considérer que la cessation des paiements est le prérequis au
prononcé de la liquidation ? Si elle est « l'indice extérieur déterminant » des
difficultés du débiteur, lesquelles justifient l'ouverture d'une procédure
collective (18), n'est-elle pas indispensable, tant à l'ouverture de l'ultime
procédure qu'est la liquidation (19), qu'à la caractérisation du caractère
manifestement impossible du redressement (20) ? Le prononcé d'une liquidation
ne repose-t-il pas forcément sur le constat préalable de l'incapacité du
débiteur de faire face à ses engagements et de les honorer (21) ?
Quoi
qu'il en soit, la solution atteste, s'il en était encore besoin, que la
cessation des paiements n'a plus qu'un rôle relatif à jouer dans la
détermination des procédures applicables.
* Docteur en droit, Université
Paris-Saclay, Chercheur associé au CERDI
Claire
Ballot-Squirawski, La cessation des paiements, condition variable de la
liquidation judiciaire, D 2018, p.987.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire