jeudi 28 juin 2018

121 : Congé du bailleur : le locataire a le choix entre poursuite du bail et indemnité d’éviction, Cass. 3e civ. 28-6-2018 no 17-18.756,

Arrêt n° 702 du 28 juin 2018 (17-18.756) - Cour de cassation - Troisième chambre civile

Congé du bailleur : le locataire a le choix entre poursuite du bail et indemnité d’éviction

Lorsque le congé délivré par le bailleur et refusant le renouvellement du bail sans offre d’indemnité d’éviction est nul, faute d’être motivé, le locataire dispose d’une alternative : invoquer cette nullité et poursuivre le bail ; y renoncer en demandant le paiement d’une indemnité d’éviction.
Le propriétaire de locaux commerciaux qui donne congé à son locataire doit, à peine de nullité du congé, préciser les motifs pour lesquels il le fait (C. com. art. L 145-9, al. 5). Par ailleurs, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu de payer une indemnité d’éviction s’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire (art. L 145-17, I-1o).
Le locataire d’un local commercial demande l’annulation du congé avec refus de renouvellement sans offre d’indemnité d’éviction au motif qu’il était dépourvu de tout motif et il réclame le paiement d’une indemnité d’éviction. Le bailleur réplique que, si la nullité du congé peut donner droit à une telle indemnité, c’est à la condition que le locataire ait quitté les lieux, rendant ainsi impossible la continuation du bail.
La Cour de cassation rejette cet argument. Le fait que le locataire reste ou non dans les lieux est sans incidence sur les effets du congé irrégulier. En effet, le locataire, qui est le seul à pouvoir invoquer la nullité relative du congé prévue par l’article L 145-9 précité, peut soit se prévaloir de la nullité du congé en optant pour la poursuite du bail, soit y renoncer en sollicitant une indemnité d’éviction et en se maintenant dans les lieux dans l’attente de son paiement, conformément à l’article L 145-28 du Code de commerce.

316 : Sanction de la violation d’un pacte entre associés de SAS prévue par les statuts, par B. DONDERO




3. Sanction de la violation d’un pacte entre associés de SAS prévue par les statuts,

note sous Cass. com., 27 juin 2018, par Bruno DONDERO



Les associés d’une SAS avaient conclu un pacte, qui comportait de la part de certains associés (les « managers ») une promesse de vendre leurs actions aux autres en cas de cessation de leurs fonctions salariées au sein de la société ou de l’une de ses filiales. Cet engagement était doublé d’une interdiction de céder les titres objet de la promesse pendant toute sa durée.
L’un des managers cédait néanmoins ses actions à des tiers, et la SAS, par la voix de son dirigeant, refusait d’enregistrer les ordres de mouvement correspondant aux cessions, au motif que celles-ci contrevenaient au pacte (celui-ci avait été conclu, assez classiquement, « en présence » de la société). Les statuts de la SAS stipulaient que les cessions conclues en violation du pacte étaient frappées de nullité.

Cela n’empêchait pas les juges du fond saisis du litige d’ordonner à la SAS de signer les ordres de mouvement. La cour d’appel accordait de l’importance à un élément assez étonnant, qui était la « résiliation de la promesse de vente contenue dans le pacte ». L’associé partie au pacte avait semble-t-il décidé de s’affranchir de cette partie de la convention, en déclarant qu’il mettait fin à la promesse, avant de céder ses actions à des tiers… La cour d’appel considérait que cette résiliation était « un fait juridique constant » qu’elle devait « nécessairement prendre en compte », et elle reprochait au pacte de ne pas prévoir de sanction en cas de résiliation anticipée. Mais prévoir une telle sanction aurait été reconnaître que la résiliation anticipée était possible, alors que les parties avaient voulu exclure cela, sauf modification de leur accord.

On se souvient qu’il y a une dizaine d’années, la Cour de cassation avait laissé entendre que les pactes d’actionnaires qui n’avaient pas une durée déterminée autre que celle calculée en fonction de la détention des actions de la société pouvaient être anéantis assez simplement par une partie, par le biais de la résiliation du pacte (Cass. com., 6 nov. 2007). Simplement, la promesse dont il était question dans l’affaire soumise à la Cour de cassation en 2018 avait été consentie pour une durée de dix ans à compter de la signature du pacte. Il n’était donc pas question de pouvoir résilier une partie de la convention parce qu’elle aurait été à durée indéterminée.

La Cour de cassation casse par conséquent l’arrêt d’appel pour violation de la loi, précisément pour violation de l’art. 1134 ancien du Code civil (« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel (…)« ). Ces règles se retrouvent aujourd’hui, après l’ordonnance du 10 févr. 2016, aux articles 1103 et 1193 du Code.

La Chambre commerciale juge que « la révocation unilatérale de la promesse et, par suite, la cession litigieuse constituaient une violation du pacte d’associés entraînant la nullité de la cession » faite aux tiers, nullité fondée sur les statuts de la SAS.
Les enseignements.

Premier enseignement: lorsque le pacte n’est pas à durée indéterminée, il n’est pas possible à une partie de décider unilatéralement qu’elle procède à sa résiliation. Si une partie procède ainsi, la cession qu’elle pourrait réaliser ensuite se ferait en violation du pacte, avec les conséquences d’une telle violation: responsabilité civile, remise en cause de la cession, etc. Cette remise en cause trouve un fondement, aujourd’hui, à l’art. 1124 du Code civil relatif à la promesse unilatérale de contrat, qui dispose que « Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul« . A contrario, la bonne foi du tiers le protège.

Second enseignement: les statuts d’une SAS peuvent prévoir qu’une cession d’actions intervenue en violation d’un pacte est nulle. L’art. L. 227-15 du Code de commerce dispose que « Toute cession [d’actions de SAS] effectuée en violation des clauses statutaires est nulle« , mais la nullité pourrait-elle découler de la violation, précisément, d’une clause ne figurant pas dans les statuts ?

La décision rendue le 27 juin 2018 répond de manière affirmative, ce qui laisse entendre que les clauses statutaires pourraient opérer un renvoi à des stipulations extérieures, comme un pacte, donc, un règlement intérieur ou une autre convention. La solution apparaît assez audacieuse au regard de la lettre de l’art. L. 227-15 du Code de commerce… mais on parvient à la même solution, pour les promesses, avec le droit commun en réalité: l’art. 1124 du Code civil dispose aujourd’hui que le contrat conclu en violation d’une promesse unilatérale est nul, lorsque le cocontractant connaissait l’existence de la promesse. Or la référence faite par les statuts de la société dont les actions sont cédées à un pacte peut justement être de nature à donner connaissance au tiers de l’existence d’une promesse et à permettre l’application de la sanction de nullité.

source:

Bruno DONDERO, Sanction de la violation d’un pacte entre associés de SAS prévue par les statuts (notesous Cass. com., 27 juin 2018, n° 16-14097), Le blog du professeur Bruno Dondero, le 28 juin 2018