mercredi 28 novembre 2018

597 : Les livreurs à vélo des plateformes numériques ont la qualité de salarié, Cass. soc. 28-11-2018, n° 17-20079FP-PBRI.

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SOCIAL EMBAUCHE
Les livreurs à vélo des plateformes numériques ont la qualité de salarié

Se prononçant pour la première fois sur la nature du contrat liant un coursier à une plateforme numérique, la Cour de cassation considère qu'il s'agit d'un contrat de travail si l'existence d'un lien de subordination est établie.

Une cour d'appel ne peut pas juger qu'un coursier n'est pas lié par un contrat de travail à la société utilisant une plateforme web et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plateforme et des livreurs à vélo exerçant sous un statut d'indépendant dès lors qu'elle constate, d'une part, que l'application était dotée d'un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et, d'autre part, que la société disposait d'un pouvoir de sanction à son égard, ce dont il résultait l'existence d'un pouvoir de direction et de contrôle de l'exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination.

Cass. soc. 28-11-2018 n° 17-20.079 FP-PBRI, D. c/ L. ès qual.
1.  Évolutions importantes au cours des douze derniers mois

1.1.         Existence du contrat de travail : la caractérisation d’un lien de subordination existant entre un coursier et une société utilisant une plate-forme numérique

             Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n° 17-20.079, FP-P+B+R+I, existence du contrat de travail, caractérisation du lien de subordination, livreurs à vélo

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Viole l’article L. 8221-6, II du code du travail la cour d’appel qui retient qu’un coursier ne justifie pas d’un contrat de travail le liant à une société utilisant une plate-forme web et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo exerçant sous le statut de travailleur indépendant des livraisons de repas, alors qu’il résulte de ses constatations que l'application était dotée d'un système de géo-localisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et que la société disposait d'un pouvoir de sanction à l'égard du coursier.

Note explicative de l’arrêt :

Par un arrêt rendu le 28 novembre 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation statue pour la première fois sur la qualification du contrat liant un livreur à une plate-forme numérique.

Aux termes de l’article L. 111-7 I du code de la consommation, est qualifiée d’opérateur de plate- forme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public reposant sur (...) la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service.

En l’occurrence, la société Take eat easy utilisait une plate-forme numérique et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo exerçant leur activité sous un statut d’indépendant.

Un coursier avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail. Le conseil de prud’hommes puis la cour d’appel s’étaient déclarés incompétents pour connaître de cette demande. La liquidation judiciaire de la société Take it easy avait été prononcée entre temps et le liquidateur avait refusé d’inscrire au passif de la liquidation les demandes du coursier en paiement des courses effectuées.

Était donc soumise à la chambre sociale la question de l’existence d’un lien de subordination unissant un livreur à la plate-forme numérique.

Par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, le législateur a esquissé une responsabilité sociétale des plate-formes numériques en insérant les articles L. 7341-1 à L. 7342-6 dans le code du travail prévoyant des garanties minimales pour protéger cette nouvelle catégorie des travailleurs. Il ne s’est toutefois pas prononcé sur leur statut juridique et n’a pas édicté de présomption de non-salariat.

Dans la jurisprudence de la chambre sociale, la caractérisation d’une relation de travail salarié repose sur des éléments objectifs. Le salarié est celui qui accomplit un travail sous un lien de subordination, celui-ci étant caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (Soc., 13 novembre 1996, pourvoi n° 94-13.187, Bull. 1996, V, n° 386). La seule volonté des parties est impuissante à soustraire un travailleur au statut social qui découle nécessairement des conditions d’accomplissement de son travail (Ass. plén., 4 mars 1983, pourvois n° 81-11.647 et 81-15.290, Bull. 1983, Ass. plén., n° 3). Enfin l’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle (Soc., 17 avril 1991, pourvoi n° 88-40.121, Bull. 1991, V,  200).

Si l’appréciation des éléments de fait et de preuve permettant de déterminer l’existence ou l’absence d’un lien de subordination relève du pouvoir souverain des juges du fond, la chambre sociale exerce toutefois un contrôle de motivation en s’assurant qu’ils tirent les conséquences légales de leurs constatations (Soc., 1er décembre 2005, pourvois n° 05-43.031 à 05-43.035, Bull. 2005, V, n° 349).

Au cas d’espèce, après avoir relevé l’existence d’un système de bonus et de malus évocateur « de prime abord (...) du pouvoir de sanction que peut mobiliser un employeur », la cour d’appel avait néanmoins rejeté la demande de requalification du contrat aux motifs que le coursier n’était lié à la plate-forme numérique par aucun lien d’exclusivité ou de non-concurrence et qu’il restait libre chaque semaine de déterminer lui-même les plages horaires au cours desquelles il souhaitait travailler ou de n’en sélectionner aucune s’il ne souhaitait pas travailler.

Ce raisonnement est censuré : dès lors qu’ils constataient, d’une part, que l’application était dotée d’un système de géo-localisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus, de sorte que le rôle de la plate-forme ne se limitait pas à la mise en relation du restaurateur, du client et du coursier, et, d’autre part, que la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier, constatations dont il résultait l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation du livreur caractérisant un lien de subordination, les juges du fond ne pouvaient écarter la qualification de contrat de travail.



Doctrine :

ترجمة ملخص هذا القرار هذا القرار من هنا:

- N. Anciaux, « Le contrat de travail : réflexions à partir de l’arrêt Take  Eat Easy », JCP 2019,    éd. S., n° 5, p. 1026
·      M. Badel, « Travailleurs indépendants * Salariés * Contrat de travail * Subordination juridique * Plateformes numériques », RDSS 2019, p. 170
·      C. Berlaud, « Le livreur en vélo « indépendant » est un salarié », Gazette du Palais 2018, 11 décembre 2018, n° 43, p. 48
·      -    B. Bossu, « Plateforme numérique : le droit du travail fait de la résistance », JCP 2019, éd.  E.,   n° 3, p. 1031
·      C. Courcol-Bouchard, « Le livreur, la plateforme et la qualification du contrat », RDT 2018, p. 812
·      N. Dedessus-Le-Moustier, « Qualification du contrat liant une plateforme numérique à  un  livreur », JCP 2018, éd. G., n° 51, p. 1347
·      E. Dockès, « Le salariat des plateformes à propos de l’arrêt TakeEatEasy », Droit ouvrier 2019,  n° 846, p. 8
·      M-C. Escande-Varniol, « Un ancrage stable dans un droit du travail en mutation », Recueil Dalloz
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·      B. Gomes, « Take Eat Easy : une première requalification en faveur des travailleurs de plateformes », SSL 2019, n° 1847 sup., p. 8
·      J-G. Huglo, « Take Eat Easy : une application classique  du lien  de subordination »,  SSL 2018,  n° 1842-1843
·      J. Icard, « La requalification en salarié d’un travailleur dit indépendant exerçant par le biais d’une plateforme numérique », BJT 2019, n° 1, p. 15
·      J-P. Lhernould, « Les plateformes électroniques de mise en relation rattrapées par le salariat », JSL 2019, n° 468
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·      S. Msadak, « La Cour de cassation reconnaît le statut de salarié aux livreurs à vélo d’une plateforme numérique », BJT 2019, n° 1, p. 7
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·      M. Richevaux, « Coursier à vélo : un coup de frein à l’indépendance, le coursier à vélo est   salarié », LPA 2019, n° 23,p. 12
·      V. Roche, « Travailleurs indépendants et plateformes numériques : l’union impossible ? Le cas de Take Eat Easy », JCP 2019, éd. G., n° 3, p. 46
·      J. Sénéchal, « Le critère français de la subordination juridique confronté au « contrôle », à « l’influence déterminante » d’un opérateur de plateforme en ligne sur l’activité de ses usagers », Recueil Dalloz 2019, p. 186
·      K. Van Den Bergh, « Plateformes numériques de mise au travail : mettre en perspective le particularisme français », RDT 2019, p. 101
·      « Critère du contrat - lien de subordination - preuve », RJS 2019, n° 72
·      « Contrat de travail (qualification) : livreur lié à une plateforme numérique . », Recueil Dalloz, 2019, p. 177
·      « Contrat de travail (qualification) : livreur lié à une plateforme numérique », Recueil Dalloz 2018, p. 2312
·      « Le zoom de la semaine Travailleurs de plateforme numérique - Contrat de travail », SSL 2018, n° 1839
·      « Qualification de la relation livreur - plateforme numérique : contrat de travail ? », JCP 2018, éd. S., n° 48, act. 376





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