1.1. Consultation des instances nationales de représentation : le premier recours à une motivation développée de la décision
• Soc., 19 décembre 2018, pourvoi n° 18-14.520, FS-P+B+R+I, absence de comité d’entreprise européen, articulation avec les instances nationales de représentation
Il résulte des dispositions des articles L. 2323-1 et L. 2323-33 du code du travail, alors applicables, interprétés à la lumière de l’article 4 de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne et de l’article L. 2341-9 du même code, qu’en l’absence de comité d’entreprise européen instauré par un accord précisant les modalités de l’articulation des consultations en application de l’article L. 2342-9, 4°, du code du travail, l’institution représentative du personnel d’une société contrôlée par une société-mère ayant son
siège dans un autre État membre de l’Union européenne doit être consultée sur tout projet concernant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs résultant des modifications de l’organisation économique ou juridique de l’entreprise, y compris lorsque une offre publique d’acquisition porte sur les titres de la société-mère.
Note explicative de l’arrêt :
L’arrêt Gemalto est l’occasion, pour la première fois s’agissant de la chambre sociale, de recourir à une motivation développée de sa décision.
La chambre sociale était saisie de la question du droit à la consultation et à l’information des institutions représentatives d’une filiale française dans le cadre d’une offre publique d’acquisition (OPA) visant la société mère du groupe, société de droit néerlandais. La question nécessitait de s’interroger sur la mise en œuvre des dispositions de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d’acquisition et supposait de raisonner en plusieurs temps sur son interaction avec d’autres textes de droit européen ainsi qu’avec les textes de droit français. C’est ce raisonnement que la chambre sociale a choisi de dérouler, de manière détaillée, dans l’arrêt du 19 décembre 2018.
Dans un premier temps, la chambre sociale explique pourquoi la directive susvisée du 21 avril 2004, qui mentionne en son article 2 qu’elle s’applique à la « société visée » par une OPA, dont les titres font l’objet d’une offre, et qui se réfère en son article 4 à l’autorité de contrôle de l’État membre dans lequel la société visée a son siège social, ne peut être invoquée à l’appui d’une demande de consultation de l’institution représentative du personnel d’une société filiale de la société visée par l’OPA, ce qui conduit à exclure également l’application de l’article L. 2223-39 du code du travail qui en est la transposition.
Cependant, poursuivant son analyse, la chambre sociale relève que l’article 14 de la même directive précise qu’elle ne « porte pas préjudice aux règles relatives à l’information et à la consultation des représentants du personnel de l’offrant et de la société visée » et que cet article se réfère aux dispositions des directives 94/45/CE, 98/59/CE, 2001/86/CE et 2002/14/CE, cette dernière directive établissant un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne.
Or, dans le cadre de la directive 94/45/CE concernant l’institution d’un comité d’entreprise européen, désormais remplacée par la directive 2009/38/CE, il est organisé l’articulation entre l’information et la consultation du comité d’entreprise européen et des instances nationales de représentation, et précisé que cette articulation ne doit pas justifier une régression par rapport au niveau général de protection des travailleurs organisé par la législation de chaque État membre. Le droit français a intégré ces dispositions à l’article L. 2341-9 du code du travail.
En l’espèce, il n’était pas prétendu qu’il ait été mis en place au sein de la société Gemalto un comité d’entreprise européen. Dès lors, devaient s’appliquer les dispositions de la directive 2009/38/CE, intégrées en droit français aux articles L. 2323-1 et L. 2323-33 du code du travail dans leur rédaction applicable, qui imposent une consultation et une information du comité d’entreprise sur tout projet ayant une incidence sur « l’organisation, la gestion et la marche de l’entreprise » ainsi que sur les « modifications de l’organisation économique ou juridique de l’entreprise notamment en cas de fusion, de cession de modification importante des structures de production de l’entreprise ».
Le président du tribunal de grande instance ayant constaté que tel était le cas en l’espèce, la chambre sociale l’approuve d’avoir décidé que le comité central d’entreprise de la société filiale française était fondé à demander des informations sur l’OPA.
L’utilisation de la motivation développée permet ainsi de faire connaître au lecteur les étapes d’un raisonnement complexe ayant conduit à la solution de l’arrêt. La chambre sociale pourrait désormais y avoir recours lorsque certaines circonstances - notamment en cas de revirement de jurisprudence, si l’arrêt tranche une question de principe, lorsque la solution présente un intérêt pour le développement du droit - le justifient.
Doctrine :
- G. Auzero, « Consultation du comité d’entreprise d’une filiale en cas d’OPA portant sur les titres de la société-mère », BJT 2019, n° 2, p. 21
- C. Berlaud, « Information du CE de la filiale française d’une holding d’un pays membre de l’UE », Gazette du Palais, 08 janvier 2019, n° 1, p. 36
- A. Chanu, « L’institution représentative du personnel d’une filiale doit être informée et consultée en cas d’OPA sur la société mère », SSL 2019, n° 1850, p. 7
- H. Ciray, « Consultation du comité d’entreprise en l’absence de comité d’entreprise européen », Dalloz actualité, 1er février 2019
- G. Dedessus-le-Moustier, « Consultation du comité d’entreprise d’une société filiale en cas d’OPA sur la société-mère », JCP 2019, éd. G., n° 7, p. 170
- Y. Ferkane, « Consultation du comité central d’entreprise d’une filiale appartenant à un groupe dont la société mère de droit étranger est la cible d’une OPA », RDT 2019, p. 202
- C. Merle, A. Vivant, « La filiale française affectée par l’OPA dont fait l’objet sa société mère étrangère doit informer et consulter son comité d’entreprise », JCP 2019, éd. E., n° 9-10, p. 1116
- H. Nasom-Tissandier, « OPA visant la société-mère : consultation du CE (CSE) de la filiale en l’absence de comité d’entreprise européen », JSL 2019, n° 472, p. 16
- A. Tessier « Consultation du comité d’entreprise d’une société filiale en cas d’OPA sur la société- mère », JCP 2019, éd. S., n° 9, p. 1066
- « Information/consultation : filiale française d’une société basée dans un autre Etat membre »,
- Recueil Dalloz 2019, p. 20
- « Le zoom de la semaine Offre publique d’acquisition », SSL 2019, n° 1844, p. 15
- « De l’information du comité d’entreprise, filiale d’une société-mère faisant l’objet d’une OPA », JCP 2018, éd. S., n° 51-52, act. 412,
- « OPA - Information-consultation du CEE de la filiale – Directive du 11 mars 2002 », SSL 2018, n° 1842-1843
- « OPA sur une société mère étrangère : la filiale affectée par l’offre doit consulter ses élus »,
Liaisons sociales, 8 janvier 2019, n° 17728
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