1.
Le mariage pour tous face aux systèmes de tradition musulmane, par L.
Gannagé*
La décision rendue par la
première chambre civile de la Cour de cassation le 28 janvier 2015 constitue
sans doute le dernier acte du bras de fer qui oppose partisans et adversaires
du mariage pour tous.
Sur les cent quatre-vingt-treize
États qui sont aujourd'hui membres de l'Organisation des Nations Unies, seule une vingtaine autorise le mariage homosexuel.
un « forçage » de l'ordre public
international, dont les conséquences dans les relations internationales, en
particulier avec les systèmes relevant de cultures différentes, n'ont sans
doute pas été suffisamment évaluées.
L’intégration du droit au mariage
pour les couples homosexuels, au sein de l'ordre public international, peine à
convaincre.
si l'on veut bien se souvenir
qu'en 2012 encore, la première chambre civile mettait en
avant l'ordre public international pour s'opposer à l'accueil en France des
décisions étrangères autorisant l'adoption au profit de couples homosexuels,
lesquelles étaient alors jugées contraires « aux principes essentiels » du
droit français (Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n°
11-30.261
Ce travestissement inopiné de
l'ordre public international a quelque chose d'artificiel. En vigueur en France
il y a tout juste quelques mois, la prohibition du mariage homosexuel, devient
désormais attentatoire aux fondements même de la société française.
C'est dire le traitement tout à
fait exceptionnel réservé au mariage pour tous. Adopté à la faveur d'une réforme qui a profondément divisé les Français, il accède
au rang de valeur intangible de la société française au moment même où il voit
le jour.
La mise à l'écart des lois
étrangères interdisant le mariage homosexuel permettrait à cet égard de
renforcer l'effectivité de la réforme voulue par le législateur.
Rappelant la nécessité de
respecter les solutions prévues par les conventions bilatérales, le rapporteur
concluait alors sans hésitations : « Dès lors, si la loi
nationale du Maroc ou du Vietnam, par exemple, n'autorise pas le mariage des
personnes de même sexe, les ressortissants de ces États ne pourront pas se
marier en France y compris avec un Français » (Rapp.
Sénat n° 437, 20 mars 2013, p. 54, J.-P. Michel).
l'argument de la
discrimination à l'égard des ressortissants marocains, qui seraient
empêchés de célébrer un mariage homosexuel en France, n'a pas semble-t-il
retenu l'attention du Sénat.
La décision de la Cour de
cassation doit de ce fait être située dans l'histoire un peu tourmentée des
relations qu'entretient le système français avec les
systèmes de tradition musulmane. Il n'est pas
certain à cet égard que l'arrêt du 28 janvier 2015 puisse contribuer à y
ramener la sérénité.
Le fossé qui sépare les systèmes
européens et les systèmes de tradition musulmane est désormais tellement
profond que l'on peut valablement se demander s'il est encore possible
de le réduire,
Bien davantage que le discours
convenu sur le dialogue des cultures, c'est en
réalité la multiplication des relations familiales qui se nouent entre les
ressortissants des États musulmans et des États européens qui
commande de réfléchir aux moyens de réduire la distance entre les ordres
juridiques.
tende à ruiner toute possibilité
d'envisager un rapprochement quelconque des systèmes autour des droits de
l'homme.
Qu'ils soient proclamés par la
Cour de Strasbourg ou par les juridictions nationales, les droits de l'homme
apparaissent de plus en plus comme ceux de l'homme européen, et parfois même de
l'homme français, et de lui seul.
La liberté fondamentale de se
marier reconnue aux couples homosexuels n'est pas consacrée dans l'ensemble des
systèmes européens, et n'a en toute hypothèse aucune vocation à être exportée
dans les systèmes musulmans.
Une telle évolution nourrit
inévitablement le relativisme des droits fondamentaux.
En liant exclusivement les droits de l'homme à la culture, elle les dresse
désormais les uns contre les autres, droits de l'homme
musulman contre droits de l'homme européen. Corrélativement, elle leur
retire toute aptitude à rapprocher les systèmes et à fonder une quelconque
communauté de valeurs au-delà des différences culturelles.
On le voit, l'ampleur des
divergences entre les systèmes est édifiante. Était-il, de ce fait, absolument indispensable d'ajouter à la liste, déjà longue, des
antagonismes qui opposent le système français aux systèmes de tradition
musulmane le défaut d'adhésion de ceux-ci au mariage pour tous ?
-----
* Résumé du Note
sous l’arrêt Cass. 1re civ., 28 janv. 2015, n° 13-50.059, par Léna
Gannagé, La Semaine
Juridique Edition Générale n° 12, 23 Mars 2015, 318.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire