jeudi 23 mars 2017

123 : Le mariage pour tous face aux systèmes de tradition musulmane, par L. Gannagé




1. Le mariage pour tous face aux systèmes de tradition musulmane, par L. Gannagé*


La décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 28 janvier 2015 constitue sans doute le dernier acte du bras de fer qui oppose partisans et adversaires du mariage pour tous.
Sur les cent quatre-vingt-treize États qui sont aujourd'hui membres de l'Organisation des Nations Unies, seule une vingtaine autorise le mariage homosexuel.
un « forçage » de l'ordre public international, dont les conséquences dans les relations internationales, en particulier avec les systèmes relevant de cultures différentes, n'ont sans doute pas été suffisamment évaluées.
L’intégration du droit au mariage pour les couples homosexuels, au sein de l'ordre public international, peine à convaincre.
si l'on veut bien se souvenir qu'en 2012 encore, la première chambre civile mettait en avant l'ordre public international pour s'opposer à l'accueil en France des décisions étrangères autorisant l'adoption au profit de couples homosexuels, lesquelles étaient alors jugées contraires « aux principes essentiels » du droit français (Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n° 11-30.261
Ce travestissement inopiné de l'ordre public international a quelque chose d'artificiel. En vigueur en France il y a tout juste quelques mois, la prohibition du mariage homosexuel, devient désormais attentatoire aux fondements même de la société française.
C'est dire le traitement tout à fait exceptionnel réservé au mariage pour tous. Adopté à la faveur d'une réforme qui a profondément divisé les Français, il accède au rang de valeur intangible de la société française au moment même où il voit le jour.
La mise à l'écart des lois étrangères interdisant le mariage homosexuel permettrait à cet égard de renforcer l'effectivité de la réforme voulue par le législateur.
Rappelant la nécessité de respecter les solutions prévues par les conventions bilatérales, le rapporteur concluait alors sans hésitations : « Dès lors, si la loi nationale du Maroc ou du Vietnam, par exemple, n'autorise pas le mariage des personnes de même sexe, les ressortissants de ces États ne pourront pas se marier en France y compris avec un Français » (Rapp. Sénat n° 437, 20 mars 2013, p. 54, J.-P. Michel).
l'argument de la discrimination à l'égard des ressortissants marocains, qui seraient empêchés de célébrer un mariage homosexuel en France, n'a pas semble-t-il retenu l'attention du Sénat.
La décision de la Cour de cassation doit de ce fait être située dans l'histoire un peu tourmentée des relations qu'entretient le système français avec les systèmes de tradition musulmane. Il n'est pas certain à cet égard que l'arrêt du 28 janvier 2015 puisse contribuer à y ramener la sérénité.
Le fossé qui sépare les systèmes européens et les systèmes de tradition musulmane est désormais tellement profond que l'on peut valablement se demander s'il est encore possible de le réduire,
Bien davantage que le discours convenu sur le dialogue des cultures, c'est en réalité la multiplication des relations familiales qui se nouent entre les ressortissants des États musulmans et des États européens qui commande de réfléchir aux moyens de réduire la distance entre les ordres juridiques.
tende à ruiner toute possibilité d'envisager un rapprochement quelconque des systèmes autour des droits de l'homme.
Qu'ils soient proclamés par la Cour de Strasbourg ou par les juridictions nationales, les droits de l'homme apparaissent de plus en plus comme ceux de l'homme européen, et parfois même de l'homme français, et de lui seul.
La liberté fondamentale de se marier reconnue aux couples homosexuels n'est pas consacrée dans l'ensemble des systèmes européens, et n'a en toute hypothèse aucune vocation à être exportée dans les systèmes musulmans.
Une telle évolution nourrit inévitablement le relativisme des droits fondamentaux. En liant exclusivement les droits de l'homme à la culture, elle les dresse désormais les uns contre les autres, droits de l'homme musulman contre droits de l'homme européen. Corrélativement, elle leur retire toute aptitude à rapprocher les systèmes et à fonder une quelconque communauté de valeurs au-delà des différences culturelles.
On le voit, l'ampleur des divergences entre les systèmes est édifiante. Était-il, de ce fait, absolument indispensable d'ajouter à la liste, déjà longue, des antagonismes qui opposent le système français aux systèmes de tradition musulmane le défaut d'adhésion de ceux-ci au mariage pour tous ?
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* Résumé du Note sous l’arrêt Cass. 1re civ., 28 janv. 2015, n° 13-50.059, par Léna Gannagé, La Semaine Juridique Edition Générale n° 12, 23 Mars 2015, 318.


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