Un petit fait vient troubler
notre routine de citoyens paisibles. Le prêtre de l'église Sainte-Claire, à
Saint-Étienne, avait converti un bâtiment paroissial en asile de nuit pour SDF,
sans que le culte en souffre. Diverses actions contre le père Riffard ayant
échoué - il avait été accusé d'accueillir des sans-abris, comme de méconnaître
un arrêté municipal de fermeture des locaux -, ce sont aujourd'hui le préfet et
le parquet qui se liguent pour exiger qu'il ferme cet asile pour une raison
décisive : les locaux ne seraient pas dotés d'une porte coupe-feu, ce qui
mettrait en danger la sécurité des personnes.
En évoquant cette affaire, on ne
voudrait pas faire un étalage facile de bons sentiments. En dehors de ceux qui
s'impliquent dans la lutte pour les migrants ou les sans-abris, les histoires
de ce genre laissent indifférents. Ou plutôt, elles arrachent un sourire car on
y retrouve cette manie administrative tatillonne et ridicule, qui avait fait
les beaux jours des ronds-de-cuir. Elle indigne aussi, l'espace d'un instant :
on risque moins à couvert qu'exposé aux dangers de la rue. L'incendie est
exceptionnel ; les risques de la nuit permanents. À l'occasion, elle tourmente
la conscience du juriste qui y voit une utilisation vicieuse de la règle de
droit.
Pascal l'a dit de façon
définitive : qui veut faire l'ange fait la bête ! Il est incongru d'appliquer à
ceux qui n'ont rien les normes protectrices d'une société comblée. Les portes
coupe-feu sont justement exigées dans les lieux publics ; mais on ne comprend
pas que leur absence jette à la rue ceux qui avaient trouvé un abri de fortune.
Sans doute les normes sont faites pour tous, en quoi elles incarnent précisément
une normalité idéale. Qui ne voit qu'elles doivent être adaptées à certaines
conditions-limites, au risque de se retourner en leur contraire : conçues pour
améliorer la vie des individus, elles la dégradent subitement ; le risque d'une
communication d'incendie ne vaut pas que l'on expose des enfants aux hasards de
la nuit. De la même façon, on conçoit que les restes alimentaires et les
produits au bord de la péremption soient retirés de la circulation ; mais
pourquoi ne profiteraient-ils pas à ceux qui ont faim ? Rien ne justifie cette
norme abjecte qui oblige à les asperger d'eau de javel, de crainte que des
malheureux puissent s'en nourrir. Que craint-on ? Une possible intoxication
vaut mieux qu'un ventre creux.
Il faut aller au-delà de
l'incongruité de la norme, car il y a peut-être une intention étatique derrière
ces mesquineries. Non parce que la norme émane des services de l'État, sa mise
en œuvre de ses agents. Mais parce qu'on a le sentiment qu'il fait obstruction
aux initiatives généreuses pour peu qu'elles n'émanent pas de lui.
Entendons-nous : il veut bien composer avec de puissantes associations ou de
riches fondations. Mais une solidarité à hauteur d'homme dérange son sens de la
justice : ainsi du père Riffard, qui ne prétendait pas régler le problème des
migrants mais aider son prochain. Tout se passe comme si la seule solidarité
admise devait passer par une redistribution étatique.
Le heurt de ces idées peut être
intéressant pour ceux qui discutent de l'intervention de l'État, de sa juste mesure
et de sa portée. Hélas, ces débats n'empêcheront pas quelques malheureux de
dormir dehors, alors que l'église Sainte-Claire leur offrait un abri précaire -
et rien de plus (1).
* Professeur à l’université Paris
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1- R. Libchaber, La tentation du délit de solidarité, D.
2016. 2161 — 3 novembre 2016
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