Le droit des contrats
réformé par ordonnance ? par J-L. Harouel et autres
Les juristes ont appris avec
surprise et une certaine inquiétude que le gouvernement avait obtenu, le 16
avril 2014, de l'Assemblée nationale l'habilitation en vue de réformer par voie
d'ordonnance le droit des contrats dans le cadre du projet de loi relatif à la
« modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les
domaines de la justice et des affaires intérieures », et cela en dépit du vote
contraire du Sénat, et de l'avis défavorable de la commission des lois de
l'Assemblée nationale le 19 février 2014...
Chacun sait que le droit des
contrats forme une partie importante du droit des obligations qui constitue le
cœur du code civil, que d'aucuns ont qualifié non sans raison de «Constitution
civile de la France ».
On conviendra que la question est
donc de la plus haute importance pour la cohésion sociale et l'économie
française. Si l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe imposait un
vaste débat, qui a bien eu lieu, il en va de même a fortiori de la
réforme du droit des contrats. Bien que moins emblématique que la précédente,
cette dernière a en effet un impact direct sur la vie quotidienne de millions
de personnes et d'entreprises... Combien de mariages homosexuels conclus chaque
année ? Combien de contrats ? Poser la question, c'est y répondre.
Dès lors, le juriste éprouve le
sentiment qu'il est absolument anormal et gravement préjudiciable qu'une
réforme aussi fondamentale et d'une telle envergure puisse être opérée par voie
d'ordonnance, autrement dit à la sauvette et sans aucun débat contradictoire.
Rien de comparable ici, où nous
sommes, au contraire, en présence de questions, certes qui touchent à la
technique du droit au plus haut niveau et même à la culture juridique, mais qui
correspondent aussi à des choix politiques, à des choix de société primordiaux
destinés à engager pour plusieurs siècles la vie des contrats. Qui oserait
prétendre que le rôle assigné à la bonne foi dans les conventions, la prise en
compte ou non de la cause dans celles-ci, la question de la violence économique
comme vice du consentement, ou encore l'intervention du juge dans le contrat au
titre de l'imprévision, pour ne prendre que quelques exemples, sont des
questions de détail, sans grande importance dans la vie des affaires ?
Le gouvernement, affirme que
l'actuel projet porté par le gouvernement bénéficie d'un large consensus de la
part de la doctrine et des juristes. Cette affirmation est bien imprudente. Si
effectivement tel est le cas sur un certain nombre de points, sur plusieurs
autres, relatifs tant à la formation du contrat qu'à son exécution, de très
importantes controverses scientifiques divisent les auteurs, les praticiens, la
jurisprudence et, plus généralement, les juristes. Ces controverses doctrinales
ne sont pas des querelles byzantines, entretenues par des gens désoeuvrés,
contrairement à ce que pourrait croire le profane ; elles touchent à des
questions graves dont la réponse engagera durablement le droit français et les
relations sociales à venir. Il y a bien là une orientation politique décisive qui
liera pour longtemps tous les Français.
Dans un Etat démocratique,... la
représentation nationale ne peut donc, sans manquer gravement à sa mission,
faire l'économie d'un débat public de haut niveau sur tous ces points. Quant au
caractère technique des matières abordées, il ne saurait être présenté comme un
obstacle au débat parlementaire.
Ce dernier a non seulement
l'avantage d'offrir un exposé des arguments et des intérêts en présence, mais
encore de fournir ensuite au juge chargé de trancher un litige des travaux
préparatoires qui lui permettent de connaître l'intention du législateur et
d'interpréter les textes nouveaux. Car on imagine que ce n'est pas sans
hésitation et appréhension que les magistrats feront application des nouvelles
notions...
Rien de tel avec la technique de
l'ordonnance qui produit un texte brut qui n'a jamais été soumis au débat
public. Le juge, pour éclairer le sens des textes, en sera-t-il réduit à
solliciter les services de la Chancellerie ? Curieuse conception de la
séparation des pouvoirs !
Le gouvernement invoque aussi le
prétendu caractère d'urgence de la réforme projetée et soulève en particulier
l'argument de la protection de la partie faible dans les contrats. En vérité,
cet argument est singulier et bien peu convaincant car le système juridique
français assure déjà depuis fort longtemps cette protection à travers des
branches entières du droit qui sont consacrées à la défense des personnes
vulnérables : entre autres, le droit social, le droit des baux d'habitation,
avec encore récemment toutes sortes de droits nouveaux accordés au locataire,
le droit de la consommation dont le code est régulièrement amélioré et renforcé
depuis 18 ans... Affirmer que le contractant faible n'est pas protégé en France
n'est pas le reflet de la réalité.
En vérité, si urgence il y a, ce
serait plutôt du côté de la responsabilité délictuelle, l'autre branche du
droit des obligations qui présente un caractère de plus en plus complexe et
incertain au grand détriment des victimes... Dès lors, il faut se rendre à
l'évidence, il n'existe aucun motif sérieux et légitime à réformer en
catastrophe et sans débat contradictoire cette importante partie du code civil
qu'est le droit des contrats. L'Assemblée nationale et le Sénat, qui seront
amenés à trancher à la suite de la réunion imminente de la commission mixte
paritaire, ne doivent pas abdiquer leurs droits qui sont aussi ceux de leurs
mandants, les citoyens français. (1).
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1- J-L.
Harouel, G. Teboul, O. Tournafond, Le droit des contrats réformé par ordonnance
?, Dalloz 2014, p. 1099
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