vendredi 28 juin 2019

479 : Décision tendant à supprimer toute aide artificielle au maintien de la vie, Arrêt du 28 juin 2019, par Assemblée plénière

Arrêt n°647 du 28 juin 2019 (19-17.330 ; 19-17.342) -Cour de cassation - Assemblée plénière

SÉPARATION DES POUVOIRS

Cassation sans renvoi

La Cour de cassation casse l’arrêt de cour d’appel qui ordonnait le maintien des soins vitaux prodigués à M. X…., et ne renvoie pas l’affaire devant un nouveau juge. La Cour de cassation déclare la juridiction judiciaire incompétente.
Notion-clef : qu’est-ce qu’une « voie de fait » ?
Lorsque l’État prend une décision qui porte atteinte à la liberté individuelle et que cette décision n’est pas manifestement rattachée à un pouvoir qui lui appartient, on parle de « voie de fait ». Les litiges qui opposent les justiciables à l’État sont tranchés par le juge administratif. Mais par exception, le juge judiciaire est le juge des voies de fait. En effet, selon l’article 66 de la Constitution de 1958, le juge judiciaire est le gardien de la liberté individuelle.
Faits et procédure
29 septembre 2008 : M. X... est victime d’un grave accident de la circulation.
9 avril 2018  : Le centre hospitalier universitaire (CHU) et le docteur E…, en charge du patient, prennent la décision d’arrêter les soins.
24 avril 2019 : Le Conseil d’État juge que la décision d’arrêt des soins est légale.
30 avril 2019 : La Cour européenne des droits de l’homme rejette la demande des parents, du demi-frère et d’une sœur de M. X... visant à ce que la France suspende la décision d’arrêt des soins.
3 Mai 2019 : Saisi par les parents, le demi-frère et une sœur de M. X..., le comité des droits des personnes handicapées de l’ONU donne 6 mois à la France (État signataire de la Convention relative aux droits des personnes handicapées) pour présenter ses observations sur le dossier. Le comité demande que les soins se poursuivent jusqu’à ce qu’il ait pu examiner la réponse de l’État français.
7 mai 2019 : L’État français répond au comité de l’ONU qu’il n’est pas en mesure de réclamer le maintien des soins.
17 mai 2019 : Le tribunal de grande instance, saisi par les parents, le demi-frère et une sœur de M. X…, se déclare incompétent pour ordonner à l’État de prendre les mesures demandées par le comité de l’ONU. Selon le tribunal de grande instance, l’État n’est pas l’auteur d’une « voie de fait ».
20 mai 2019 : La cour d’appel se déclare compétente, considérant que l’État est l’auteur d’une « voie de fait ». Elle condamne l’État français et l’ordonne de prendre toutes les mesures provisoires demandées par le comité de l’ONU. Les soins apportés à M. X… sont donc maintenus.
31 mai 2019  : L’État, le ministère des solidarités et de la santé, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, le CHU et le docteur E... attaquent la décision de la cour d’appel devant la Cour de cassation.
La question posée à la Cour de cassation
L’État français est-il l’auteur d’une « voie de fait » (porte-il une atteinte à la liberté individuelle qui n’est manifestement pas rattachée à un pouvoir lui appartenant) lorsqu’il refuse d’ordonner le maintien des soins vitaux prodigués à M. X… le temps nécessaire au comité des droits des personnes handicapées de l’ONU d’examiner le dossier ?
Réponse de la Cour de cassation
L’article 66 de la Constitution de 1958 fait du juge judiciaire le gardien de la « liberté individuelle ». Selon le Conseil constitutionnel, seules les privations de libertés peuvent être qualifiées d’atteintes à la « liberté individuelle » (garde à vue, détention, hospitalisation sans consentement) ; le droit à la vie n’entre pas dans le champ de l’article 66. Dès lors, le refus de l’État d’ordonner le maintien des soins vitaux prodigués à M. X… ne constitue pas une atteinte à la liberté individuelle.
Le code de la santé publique prévoit la possibilité pour un CHU, sous certaines conditions, de cesser de prodiguer à un patient des soins vitaux. La justice administrative a validé la décision du CHU en charge de M. X…. d’arrêter les soins. La Cour européenne des droits de l’homme a conforté la France dans son analyse. Dès lors, en refusant d’ordonner le maintien des soins demandé par le comité de l’ONU, l’État n’a pas pris une décision qui dépasse manifestement les pouvoirs lui appartenant.
Aucun des éléments constitutifs de la voie de fait n’est réuni : le juge judiciaire n’est donc pas compétent dans cette affaire.
Dans ces conditions, la Cour de cassation n’avait pas à se prononcer sur le caractère contraignant ou non d’une demande de mesure provisoire formulée par le comité des droits des personnes handicapées de l’ONU.
La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel sans renvoyer l’affaire devant un nouveau juge. Elle déclare la juridiction judiciaire incompétente.

Sommaire :
Il n’y a voie de fait de la part de l’administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l’administration soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative.
Viole la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l’article 66 de la Constitution, la cour d’appel qui retient qu’en ne déférant pas à une demande de mesure provisoire formulée par le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU et tendant à ce que l’alimentation et l’hydratation entérales d’un patient ne soient pas suspendues pendant l’examen de son dossier par le Comité, l’État a pris une décision insusceptible d’être rattachée à un pouvoir lui appartenant en ce qu’elle porte atteinte à l’exercice d’un droit dont la privation a des conséquences irréversibles sur la vie même du patient, alors que, le droit à la vie n’entrant pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution, la décision de l’Etat ne portait pas atteinte à la liberté individuelle et, qu’en l’état de décisions rendues en dernier lieu par le Conseil d’Etat et la Cour européenne des droits de l’homme sur la légalité de la décision d’arrêt des traitements, cette décision n’était pas manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir lui appartenant, de sorte que les conditions de la voie de fait n’étaient pas réunies.

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