jeudi 26 avril 2018

322 : Doctrine partisane : le mélange des genres, par Jean-Pascal Chazal






L'année dernière, la campagne présidentielle était perturbée par l'affaire Fillon, lequel avait employé en qualité d'assistant parlementaire sa femme et deux de ses enfants, emplois que Le Canard enchaîné soupçonnait de fictivité. Beaucoup de professeurs de droit sont intervenus dans le débat public. Les uns invoquaient les principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d'indépendance des parlementaires, les autres (dont je faisais partie) prônaient le contrôle judiciaire de l'usage par les élus de la Nation des fonds publics mis à leur disposition. L'existence de ce débat est réjouissante d'un point de vue démocratique, sauf à critiquer les excès de langage de ceux qui ont cru pouvoir parler de « coup d'État institutionnel » ou de « tribunal de l'opinion ».

Un article a eu un retentissement médiatique plus important que les autres, certainement en raison de l'éminence de ses auteurs : les deux grands constitutionnalistes Pierre Avril et Jean Gicquel. Il était intitulé : « Collaborateurs parlementaires : respectons le droit » (Le Figaro, 9 févr. 2017). Sous ce titre, qui sonnait comme une injonction et qui convoquait l'objectivité du droit et la neutralité des universitaires qui en délivraient la substance, j'avais cru lire les éléments de langage du candidat Fillon et de ses avocats. Je ne pensais pas si bien croire.

Le directeur de campagne de François Fillon, Patrick Stefanini, dans un livre d'entretiens publié en fin d'année dernière, explique qu'il a « pris attache, le samedi 4 février, de plusieurs des meilleurs constitutionnalistes, dont les professeurs Pierre Avril et Jean Gicquel, qui ont signé dans Le Figaro une tribune pour rappeler ce principe [la séparation des pouvoirs] et la portée qu'il convenait de lui donner en l'espèce » (Déflagration, Dans le secret d'une élection impossible, avec C. Barjon, Robert Laffont, 2017, p. 269 et 270). La fameuse tribune était donc une commande destinée à participer au plan de communication de l'équipe de campagne du candidat !

Ne croyant pas à la neutralité de la doctrine, je ne vois pas d'inconvénient à reconnaître qu'elle est nécessairement engagée et que les opinions des auteurs influencent nécessairement leurs analyses juridiques. C'est le mélange des genres qui me paraît inacceptable. Les professeurs de droit sont souvent sollicités pour rédiger des consultations. Aucun problème à cela. Parfois ils acceptent de transformer leurs consultations en article afin de donner une apparence d'objectivité scientifique à une opinion sollicitée par un commanditaire qui y a intérêt. C'est là que l'éthique universitaire est bafouée et que la doctrine devient partisane. L'honnêteté commandait à ces deux professeurs de révéler la sollicitation dont ils avaient été l'objet. Cette transparence aurait permis à leurs lecteurs de ne pas être abusés par l'objectivité apparente conférée par la mise en avant de leurs titres académiques et leur posture consistant à en appeler au respect du droit (sous-entendant, a contrario, que ceux qui ne pensaient pas comme eux étaient forcément dans l'erreur ou, pire, ne respectaient pas le droit constitutionnel français).

Ce mélange des genres a déjà été dénoncé par le passé ; le fait qu'il perdure est susceptible de discréditer l'ensemble des publications universitaires. Il me semble qu'une solution serait d'abandonner l'idée fausse que la doctrine a pour fonction de décrire le droit de manière neutre et d'avoir l'honnêteté intellectuelle de dire d'où l'on parle lorsque l'on écrit sur commande.

Jean-Pascal Chazal, Professeur des Universités, École de droit de Sciences Po
Recueil Dalloz, N° 16 du 26 avril 2018 p.841

vendredi 13 avril 2018

304 : Interdépendance de contrats de vente commerciale et de crédit-bail : Ch. mixte, 13 avril 2018, pourvoi n° 16-21.345,

1. Arrêts rendus en matière civile

Crédit-bail – Caducité – Caducité du fait de la résolution du contrat de vente – Point de départ – Date d’effet de la résolution
Ch. mixte, 13 avril 2018, pourvoi n° 16-21.345, publié au Bulletin, rapport de M. Maunand et avis de M. Le Mesle
Ch. mixte, 13 avril 2018, pourvoi n° 16-21.947, publié au Bulletin, rapport de M. Maunand et avis de M. Le Mesle
La résolution du contrat de vente entraîne la caducité du contrat de crédit-bail ayant financé l’opération à la date d’effet de la résolution.
En conséquence, une cour d’appel, ayant prononcé la résolution de la vente à la date de sa conclusion, a retenu à bon droit que les clauses de garantie et de renonciation à recours prévues dans le contrat de crédit-bail en cas de résiliation de la vente étaient inapplicables et que le crédit-preneur devait restituer le bien financé au prêteur, qui devait lui restituer les loyers.
Par le présent arrêt, la Cour de cassation juge que l’anéantissement du contrat de vente entraîne la caducité du contrat de crédit-bail ayant financé l’opération.
Tout d’abord, saisie du pourvoi du vendeur contre l’arrêt qui avait prononcé la résolution de la vente pour manquement à l’obligation de délivrance conforme, la Cour de cassation juge que, lorsqu’une demande est formée en ce sens devant eux, les juges du fond doivent rechercher si la gravité du manquement allégué justifie le prononcé de la résolution de la vente et qu’une telle recherche n’est pas inopérante au regard du seul constat de ce manquement.
Par ailleurs, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la banque contre l’arrêt qui avait prononcé la caducité du contrat de crédit-bail et l’avait condamnée à restituer au crédit-preneur les loyers perçus.
Le contrat de crédit-bail mobilier, prévu à l’article L. 313-7 du code monétaire et financier, est un contrat de louage d’un matériel professionnel, qui permet au preneur de jouir immédiatement du bien en contrepartie du paiement d’un loyer, assorti d’une promesse unilatérale de vente (option d’achat) qui permet au locataire d’accéder à la propriété du bien en fin de contrat pour un prix déterminé à l’avance et prenant pour partie en compte les loyers versés.
Ce mode de financement coexiste avec la location financière mais s’en distingue en ce que celle-ci ne comprend pas d’option d’achat. La location financière concerne des biens que l’utilisateur n’envisage pas d’acquérir car ils deviennent rapidement obsolètes, comme le matériel informatique. La durée du contrat est irrévocable et celui-ci n’est pas soumis à la réglementation bancaire.
Depuis trois arrêts rendus en chambre mixte le 23 novembre 1990, la Cour de cassation jugeait que la résolution du contrat de vente entraînait nécessairement la résiliation du contrat de crédit-bail, sous réserve de l’application de clauses ayant pour objet de régler les conséquences de cette résiliation (Ch. mixte, 23 novembre 1990, pourvoi n° 86-19.396, Bull. 1990, Ch. mixte, n° 3 ; Ch. mixte, 23 novembre 1990, pourvoi n° 88-16.883, Bull. 1990, Ch. mixte, n° 3 ; Ch. mixte, 23 novembre 1990, pourvoi n° 87-17.044, Bull. 1990, Ch. mixte, n° 2).
Cette solution était réaffirmée constamment depuis cette date (Com., 12 octobre 1993, pourvoi n° 91-17.621, Bull. 1993, IV, n° 327 ; Com., 28 janvier 2003, pourvoi n° 01-00.330 ; Com., 14 décembre 2010, pourvoi n° 09-15.992).
Le sort du contrat de location financière a, quant à lui, été réglé par deux arrêts rendus en chambre mixte qui ont jugé que les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants et que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance (Ch. mixte, 17 mai 2013, pourvoi n° 11-22.768, Bull. 2013, Ch. mixte, n° 1, et Ch. mixte, 17 mai 2013, pourvoi n° 11-22.927, Bull. 2013, Ch. mixte, n° 1).
À la suite de ces arrêts, la chambre commerciale de la Cour de cassation a été amenée à préciser que, lorsque des contrats sont interdépendants, la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne, par voie de conséquence, la caducité des autres (Com., 12 juillet 2017, pourvoi n° 15-23.552, publié au Bulletin ; Com., 12 juillet 2017, pourvoi n° 15-27.703, publié au Bulletin).
En raison de la spécificité du contrat de crédit-bail mobilier, à l’issue duquel le crédit-preneur a vocation à devenir propriétaire du bien ainsi financé, la jurisprudence relative aux groupes de contrats interdépendants n’est pas transposable, le contrat de crédit-bail étant accessoire au contrat de vente.
Cependant, la Cour de cassation a relevé que la caducité, qui n’affecte pas la formation du contrat et peut intervenir à un moment où celui-ci a reçu un commencement d’exécution et qui diffère de la résolution ou de la résiliation en ce qu’elle ne sanctionne pas une inexécution du contrat de crédit-bail mais la disparition de l’un de ses éléments essentiels, à savoir le contrat principal en considération duquel il a été conclu, constituait la mesure adaptée.
La Cour de cassation a donc décidé de modifier sa jurisprudence et de juger désormais que la résolution du contrat de vente entraîne, par voie de conséquence, la caducité du contrat de crédit-bail. Elle a précisé que la caducité intervenait à la date d’effet de la résolution, laquelle est le plus souvent la date de conclusion du contrat de vente, sauf notamment les cas où le contrat se réalise par tranches et où la caducité pourra être constatée à une date postérieure à celle de la conclusion du contrat. Elle en a tiré pour conséquence que les clauses prévues en cas de résiliation du contrat étaient inapplicables et que la banque devait restituer au crédit-preneur les loyers que celui-ci lui avait versés.

jeudi 5 avril 2018

369 : Faute de la banque débloquant les fonds sans vérifier la validité de la vente Cass. 1e civ. 5-4-2018 n° 17-13528,

[1] - Crédit lié : faute de la banque débloquant les fonds sans vérifier la validité de la vente

Cass. 1e civ. 5-4-2018 n° 17-13528,

En cas de crédit lié à une vente hors établissement, la banque qui verse les fonds sans vérifier la validité du bon de commande au regard des règles du Code de la consommation commet une faute la privant de la restitution du capital prêté.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant : 



Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 1147 du code civil, ensemble l'article L. 121-23 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 26 avril 2012, à la suite d'un démarchage à domicile, Mme X... et Mme Y... (les acquéreurs) ont commandé des panneaux photovoltaïques, pour un prix de 23 500 euros, à la société Photoclim (le vendeur), désormais placée en liquidation judiciaire et représentée par la société Christophe Basse (le liquidateur judiciaire) ; que, le même jour, en vue de financer cette acquisition, elles ont souscrit un prêt auprès de la société Solféa, aux droits de laquelle se trouve la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) ; qu'invoquant des dysfonctionnements, les acquéreurs ont assigné le liquidateur judiciaire et la banque en annulation du contrat de vente et du contrat de prêt, ainsi qu'en indemnisation de leur préjudice ; que la banque a sollicité reconventionnellement la restitution du capital emprunté ;

Attendu que, pour condamner les acquéreurs in solidum à restituer le capital emprunté, après avoir annulé le contrats de vente et de prêt, l'arrêt retient qu'au vu de l'attestation de livraison, qui est dépourvue d'ambiguïté et fait état de l'exécution des travaux à l'exception du raccordement, la banque, sur laquelle ne pesait aucune obligation de procéder à de plus amples vérifications, a pu se convaincre de l'exécution du contrat principal, de sorte qu'elle n'a commis aucune faute en remettant les fonds au vendeur ;

Qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que le bon de commande des panneaux photovoltaïques avait été établi en méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-23 du code de la consommation, ce dont il résultait qu'en versant les fonds au vendeur sans procéder préalablement aux vérifications nécessaires qui lui auraient permis de constater que le contrat de vente était affecté d'une cause de nullité, la banque avait commis une faute qui la privait de sa créance de restitution, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu'il convient de prononcer, sur sa demande, la mise hors de cause de la société Chistophe Basse, ès qualités, dont la présence n'est pas nécessaire devant la juridiction de renvoi ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE,

mercredi 21 mars 2018

142 : Respect de la vie privée et liberté d'expression : Cass, 1re civ. 21-03-2018, n° 16-28741,

Respect de la vie privée et liberté d'expression : recherche de l'intérêt le plus légitime
Dans le numéro 3377, du 6 au 12 février 2014, du magazine Paris Match, la société Hachette Filipacchi associés (la société) a publié un article, accompagné de photographies, relatant le mariage religieux de M. A. C. et de Mme T. S. D. et le baptême de leur fils Alexandre, dit Sacha, ces deux événements s'étant déroulés quelques jours plus tôt, à Gstaad. Invoquant l'atteinte portée à leurs droits au respect dû à leur vie privée et à leur image, M. et Mme C., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur, ont assigné la société pour obtenir réparation de leurs préjudices, ainsi que des mesures d'interdiction et de publication.
Pour accueillir partiellement les demandes de M. et Mme C., après avoir énoncé que leur mariage religieux et le baptême de leur fils revêtaient un caractère privé, une cour d'appel avait retenu qu'un tel mariage n'a pas eu d'impact au regard du rôle tenu par les intéressés sur la scène sociale et qu'aucun événement d'actualité ou débat d'intérêt général ne justifient qu'il soit porté atteinte à leur vie privée.
Cependant, le droit au respect de la vie privée et le droit au respect dû à l'image d'une personne, d'une part, et le droit à la liberté d'expression, d'autre part, ont la même valeur normative. Il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime. Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que, pour procéder à la mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies (CEDH 10 nov. 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c/ France, n° 40454/07, § 93). La définition de ce qui est susceptible de relever de l'intérêt général dépend des circonstances de chaque affaire.
D'où il suit qu'en se prononçant comme elle l'a fait, sans procéder, de façon concrète, à l'examen de chacun de ces critères, et, notamment, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le public avait un intérêt légitime à être informé du mariage religieux d'un membre d'une monarchie héréditaire et du baptême de son fils, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et 9 du code civil  (Arrêt rendu par Cour de cassation, 1re civ. 21-03-2018, n° 16-28741 (n° 309 FS-P+B)).

mercredi 14 mars 2018

323 : Cass, com, 28 février 2018. La cessation des paiements, par C. B-S





6. La cessation des paiements, condition variable de la liquidation judiciaire, 

par Claire Ballot-Squirawski *

L'état de cessation des paiements semble bel et bien avoir définitivement perdu « sa valeur de démarcation » (1), comme en atteste l'arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 28 février 2018. En l'espèce, une société avait fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, convertie en redressement sur le fondement de l'article L. 622-10, alinéa 3, du code de commerce, soit avant toute cessation des paiements. Par la suite, le redressement avait à son tour été converti en liquidation, par un jugement en date du 11 avril 2014 et en application de l'article L. 631-15, II, alinéa 1er, du même code. L'un des créanciers avait alors formé tierce opposition à ce troisième jugement, arguant que l'état de cessation des paiements de la société débitrice n'avait jamais été constaté. Le pourvoi invitait naturellement à s'interroger sur la portée de la modification apportée par l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 à l'article L. 631-15, II, du code de commerce. C'est qu'en effet, si initialement cet article renvoyait à l'article L. 640-1 du même code s'agissant des conditions de la conversion d'une procédure de redressement en liquidation, il n'exige désormais plus que la vérification de l'impossibilité manifeste pour le débiteur de se redresser (2). Faut-il alors considérer que l'état de cessation des paiements n'est plus une condition d'ouverture d'une procédure de liquidation par conversion ? C'est bien ce qu'admet la Cour de cassation par le présent arrêt. Elle y approuve la cour d'appel d'avoir énoncé que, « quelles que soient les conditions dans lesquelles est intervenue l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, la conversion de celle-ci en une procédure de liquidation en application de l'article L. 631-15, II, du code de commerce (...) n'impose pas la constatation de l'état de la cessation des paiements, seule l'impossibilité manifeste du redressement devant être caractérisée ». La décision mérite d'être relevée car c'est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation était amenée à se prononcer sur l'interprétation de l'article L. 631-15, II, du code de commerce en l'absence totale de constatation de l'état de cessation des paiements. La solution rendue, selon laquelle cette absence est indifférente, s'avère conforme à la rédaction dudit article, dès lors que la condition relative à la cessation des paiements en a désormais disparu (I). Elle peut toutefois surprendre, tant l'état de cessation des paiements semble être une condition essentielle de la liquidation judiciaire (II).

I - La cessation des paiements, condition absente de l'article L. 631-15

La décision rendue par la Cour de cassation s'explique par le fait que, depuis l'ordonnance du 18 décembre 2008, l'article L. 631-15, II, du code de commerce ne fait plus état que de l'impossibilité manifeste pour le débiteur de se redresser. Le prononcé de la liquidation judiciaire pendant la période d'observation d'une procédure de redressement n'est donc plus soumis, formellement, qu'à cette unique condition. Initialement, l'article précité renvoyait pourtant à l'article L. 640-1 du même code dans son ensemble, de sorte que les deux conditions relatives tant à l'état de cessation des paiements qu'au redressement manifestement impossible devaient théoriquement être vérifiées. Certes, la Cour de cassation avait pu dispenser les juges de la constatation de la première condition (3). C'est qu'en effet, la procédure de redressement est elle-même conditionnée à la constatation de la cessation des paiements, de sorte que cet état a en principe été constaté avant la conversion. Exiger que les juges le constatent à nouveau aurait pu paraître superflu (4). La Cour de cassation avait donc considéré « que la cessation des paiements étant déjà constatée lors de l'ouverture du redressement judiciaire, le renvoi opéré par ce texte à l'article L. 640-1 [ne pouvait] viser que la condition relative à l'impossibilité manifeste du redressement ». Par conséquent, « la cour d'appel n'avait pas à se prononcer sur la cessation des paiements » (5). La solution se trouvait justifiée par le fait que l'ouverture d'une procédure de redressement était inconcevable en l'absence de cessation des paiements (6).
Mais il reste que, depuis l'ordonnance de 2008, l'ouverture d'une procédure de redressement est possible malgré l'absence de cessation des paiements. L'article L. 622-10 prévoit en effet en son alinéa 3 que la conversion en redressement judiciaire peut être prononcée « si l'adoption d'un plan de sauvegarde est manifestement impossible et si la clôture de la procédure conduirait, de manière certaine et à bref délai, à la cessation des paiements ». Le cas étant assez strictement encadré, l'hypothèse est relativement rare (7). C'est néanmoins celle qui a donné lieu au présent arrêt. En l'espèce, la conversion de la procédure de sauvegarde en redressement avait justement été admise « sur le fondement des dispositions de l'article L. 622-10, alinéa 3, du code de commerce », soit avant la cessation des paiements. C'est là toute la spécificité de l'arrêt, laquelle amène à apprécier la portée réelle de la modification opérée en 2008. Dans cette hypothèse précise, la cessation des paiements doit-elle être constatée lors du prononcé de la liquidation judiciaire dès lors qu'elle ne l'a pas été dans la procédure antérieure ? Ou doit-on admettre que la procédure de liquidation peut être ouverte indépendamment de l'absence de cessation des paiements ? En estimant que, « quelles que soient les conditions dans lesquelles est intervenue l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire », « seule l'impossibilité manifeste du redressement [doit] être caractérisée », la Cour de cassation se dirige par le présent arrêt vers la seconde solution. L'on dépasse ici la seule question de la constatation de la cessation des paiements. C'est plus largement et plus simplement son indifférence en tant que condition de la conversion qui paraît admise. La Cour de cassation ne semble du reste pas considérer que la caractérisation du redressement manifestement impossible inclurait de facto l'existence d'une cessation des paiements. Une telle voie aurait pu être envisageable dès lors que cette première condition est laissée à l'appréciation souveraine des juges du fond et ne repose pas sur des critères prédéfinis (8). Ce n'est toutefois pas la direction que paraît emprunter la Cour de cassation, l'affirmation selon laquelle « seule » l'impossibilité du redressement doit être vérifiée suggérant davantage l'indifférence de l'état de cessation des paiements. À cet égard, l'on remarquera d'ailleurs que les deux notions ne s'apprécient pas au regard des mêmes éléments (9). La présente décision confirme leur autonomie, l'impossibilité du redressement pouvant être caractérisée indépendamment de la cessation des paiements. Elle semble en outre donner sa pleine portée à la modification de l'article L. 631-15, II, du code de commerce. Il reste qu'elle amoindrit un peu plus le rôle joué par la notion de cessation des paiements comme colonne vertébrale du droit des procédures collectives. Il faut alors s'interroger sur la pertinence de la solution retenue, tant la cessation des paiements paraît être une condition essentielle de la liquidation judiciaire.

II - La cessation des paiements, condition essentielle de la liquidation judiciaire

La rédaction de l'article L. 631-15, II, du code de commerce conduit sans doute à faire de l'impossibilité du redressement la condition unique du prononcé de la liquidation durant la période d'observation, de sorte que la présente décision paraît formellement justifiée. Mais la modification opérée avait-elle vraiment vocation à faire de la cessation des paiements une condition indifférente dans cette hypothèse ? Il est difficile de se prononcer sur ce point. En faveur d'une réponse positive, l'on peut relever que la modification dudit article est intervenue précisément alors que la procédure de redressement se trouvait ouverte à certains débiteurs n'étant pas encore en état de cessation des paiements. En effet, la possibilité de convertir une procédure de sauvegarde en redressement avant la cessation des paiements résulte, elle aussi, de l'ordonnance de 2008. La modification de l'article L. 631-15, II, pourrait ainsi être la conséquence directe de cette ouverture, et s'inscrirait dans le mouvement de distance pris depuis quelques années déjà avec le critère relatif à la cessation des paiements (10). Pour autant, plusieurs éléments peuvent faire douter de cette première interprétation. Tout d'abord, si le rapport au président de la République relatif à l'ordonnance du 18 décembre 2008 expose les apports de la modification de l'article L. 622-10 du code de commerce, il reste silencieux quant à la modification de l'alinéa 1er de l'article L. 631-15, II, du même code. Ensuite, la doctrine n'a semble-t-il pas interprété comme telle la nouvelle rédaction, y voyant essentiellement la prise en compte du caractère redondant du renvoi quant à la condition relative à la cessation des paiements (11). Ainsi, des auteurs considèrent toujours que l'ouverture d'une procédure de liquidation suppose tant cette dernière condition que l'impossibilité manifeste du redressement lorsqu'elle est ouverte pendant la période d'observation d'une procédure de sauvegarde ou de redressement (12). Enfin, la cessation des paiements demeure la condition sine qua non d'ouverture d'une liquidation, qu'elle soit ouverte directement (13), pendant la période d'observation d'une procédure de sauvegarde (14), ou en cas de résolution du plan de sauvegarde ou de redressement (15). Si l'argument peut être à double sens et illustrer la volonté du législateur d'insérer une exception, l'on peut voir dans l'exigence constante de cette condition l'indice de son caractère incontournable.
À ce titre, et bien que l'interprétation de l'article L. 631-15 du code de commerce et de son articulation avec l'article L. 622-10, alinéa 3, soit délicate, la décision commentée présente un double inconvénient. En premier lieu, elle rend variable les conditions d'ouverture d'une liquidation judiciaire selon la manière dont la procédure est décidée (16). Cela est d'autant plus gênant que la conversion d'une procédure de sauvegarde en liquidation suppose que la cessation des paiements soit vérifiée. N'est-il pas paradoxal d'admettre que son importance devienne à ce point relative lorsque sera intervenue entre-temps une première conversion en redressement par application de l'article L. 622-10, alinéa 3, du code de commerce ? La conversion d'une sauvegarde en redressement sans cessation des paiements est motivée par le fait que la situation du débiteur est telle que la clôture de la procédure due à l'impossibilité d'adapter un plan de sauvegarde le conduirait rapidement et irrémédiablement à cet état (17). N'y a-t-il pas une certaine contradiction à admettre le prononcé d'une liquidation sans que la réalisation de cette condition ne se soit vérifiée ? Certes, l'on pourrait objecter que si le redressement apparaît impossible, il est contre-productif d'attendre la cessation des paiements, laquelle pourrait nuire à l'apurement du passif. Mais il reste que la présente décision tempère l'importance d'une condition qui pouvait pourtant paraître indispensable. C'est là son second inconvénient. Ne peut-on pas considérer que la cessation des paiements est le prérequis au prononcé de la liquidation ? Si elle est « l'indice extérieur déterminant » des difficultés du débiteur, lesquelles justifient l'ouverture d'une procédure collective (18), n'est-elle pas indispensable, tant à l'ouverture de l'ultime procédure qu'est la liquidation (19), qu'à la caractérisation du caractère manifestement impossible du redressement (20) ? Le prononcé d'une liquidation ne repose-t-il pas forcément sur le constat préalable de l'incapacité du débiteur de faire face à ses engagements et de les honorer (21) ?
Quoi qu'il en soit, la solution atteste, s'il en était encore besoin, que la cessation des paiements n'a plus qu'un rôle relatif à jouer dans la détermination des procédures applicables.

* Docteur en droit, Université Paris-Saclay, Chercheur associé au CERDI

Claire Ballot-Squirawski, La cessation des paiements, condition variable de la liquidation judiciaire, D 2018, p.987.

jeudi 8 mars 2018

458 : SAS: clauses d’agrément, Cass. com., 8 mars 2018, n° 17-40079, CC

SAS: clauses d’agrément et art. L. 228-24 du Code de commerce (Cass. com., 8 mars 2018, n° 17-40079)

Par cet arrêt en date du 8 mars 2018, la chambre commerciale de la Cour de cassation refuse de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la procédure d’agrément prévue dans les sociétés par actions.
Incidemment, par la justification qui est donnée, l’arrêt fournit une réponse intéressant les sociétés par actions simplifiées (SAS).
La question posée.
La clause d’agrément subordonne le transfert des actions, valeurs mobilières donnant accès à la qualité d’actionnaire ou parts d’une société à l’autorisation d’un organe de cette société.


Le champ d’application de la clause est une question récurrente, car elle conduit à entraver un certain nombre d’opérations de transfert de titres. L’applicabilité d’une clause d’agrément à une opération de fusion est une question qui se pose depuis longtemps, et il est jugé par la Cour de cassation depuis longtemps que la clause peut s’appliquer aux fusions (V. not. Cass. com., 3 juin 1986, n° 85-12657 : Bull. IV, n° 115). La réponse n’allait pas de soi, car l’article L. 228-23 du Code de commerce vise les seules opérations de « cession », et dès lors que le droit de céder librement ses actions constitue le principe, l’on est tenté de faire jouer la règle d’interprétation stricte des exceptions, ce qui conduirait à restreindre le champ d’application de la clause aux seules opérations visées par la loi.
 Si la clause d’agrément peut effectivement s’appliquer à une opération de fusion, sa mise en œuvre soulève cependant des difficultés quand, comme en matière de SA, le refus d’agrément implique de racheter les actions du cédant et normalement avec un droit de repentir. S’il y a une fusion et que la SA s’oppose au transfert des actions à l’absorbante en refusant l’agrément, les droits de l’actionnaire ne sont alors plus les mêmes. Comme le soulignait la QPC transmise à la Cour de cassation, l’actionnaire qu’est la société absorbée ne bénéficie pas d’un droit de repentir. Cette différence de traitement n’est pas imputable à la société mettant en œuvre la procédure d’agrément, mais elle résulte de la disparition de la société absorbée, liée à la fusion, disparition qui empêche cet actionnaire de jouir d’un droit de repentir.
Cette situation révèle-t-elle une atteinte au droit de propriété ? À tout le moins, l’application de la clause d’agrément au transfert des actions par voie de fusion soulève des questions délicates.
Parce que la Cour de cassation « botte en touche » en refusant de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel, on ne saura pas quelle est son opinion sur l’inconstitutionnalité de l’application de l’article L. 228-24 du Code de commerce aux fusions. À vrai dire, on a assez peu de doutes sur le sujet puisque, comme on l’a vu, cette solution ne s’imposait pas et qu’il a fallu que la Cour de cassation fasse preuve d’une certaine souplesse pour que la clause d’agrément s’applique, tant bien que mal, aux opérations de fusion. On avait davantage d’interrogations sur l’applicabilité de l’article L. 228-24 aux SAS, et l’arrêt commenté apporte ici une clarification.

Par: B. Dondero