mercredi 14 avril 2004

407 : à propos de la responsabilité des clubs sportifs pour le fait de leurs joueurs, Note sous Cass. civ. 2e, 20 novembre 2003, par LK

 Cour de cassation

 2ème chambre civile, 
20 nov. 2003, 
no 02-13653
Un arrêt de la deuxième chambre civile en date du 20 novembre 2003 ci-dessous reproduit, tout en précisant le régime d'indemnisation des victimes d'accidents sportifs, conduit à s'interroger sur la cohérence des responsabilités du fait d'autrui.

Cass. civ. 2e, 20 novembre 2003 :

Jean-Philippe X c/ C.P.A.M. d'Ille-et-Vilaine et autres

(pourvoi no02-13.653)


texte intégral voir : www.rjcc-fr.blogspot/2003/346.html

à propos de la responsabilité des clubs sportifs pour le fait de leurs joueurs

NOTE
L'espèce est désormais bien connue. Il s'agit en effet d'un joueur de rugby blessé au cours d'unmatch. Or deux décisions 1 avaient appliqué le régime de l'arrêt Blieck 2 dans des cas similaires. Une telle interprétation de l'article 1384, alinéa 1er du Code civil, si elle paraît se justifier en cas de dommage causé par des mineurs placés dans des institutions leur accordant une semi-liberté, a profondément irrité la doctrine lorsqu'elle concerne des adultes normalement constitués, bons pères de famille le plus souvent, qui, pour occuper leurs loisirs, pratiquent un sport collectif en qualité d'amateur.
L'arrêt rapporté du 20 novembre 2003 3 ne se différencie guère de ces solutions désormais traditionnelles, au moins en ce qui concerne les faits. En l'espèce, un joueur dûment licencié et membre d'une association sportive reconnue avait été banalement blessé aux vertèbres au cours d'un match. Plus précisément, la victime, autant l'appeler ainsi, qui occupait un poste de trois-quarts aile, était devenue tétraplégique à la suite d'une violente poussée collective lors d'une mêlée ouverte exercée sur le porteur du ballon. Le dommage subi, quelle qu'en soit la gravité, est classique dans cette phase de jeu. Le rugby, sport viril par excellence, est assurément dangereux pour ses pratiquants, qui paraissent pourtant en connaître et accepter les risques.
Au vu des arrêts de 1995, le défenseur du joueur a opportunément porté l'action sur le terrain de la nouvelle responsabilité de l'article 1384, alinéa 1er du Code civil, qui paraissait tout indiqué compte tenu des données de l'espèce. C'est d'ailleurs ce qu'a retenu le Tribunal de grande instance de Brest, par décision du 28 mars 2001. Sur appel interjeté par l'association sportive, le jugement est infirmé 4. La Cour se fonde sur l'absence de faute prouvée d'un joueur, c'est-à-dire un acte délibéré et grave de ses coéquipiers contre la règle et l'esprit du jeu, pour refuser d'indemniser la victime. Le pourvoi du blessé avait de bonnes chances d'aboutir, compte tenu de la tendance de la Cour de cassation à éliminer la faute du responsable primaire en matière de fait d'autrui.
Or c'est un rejet assez laconique qui est prononcé : « en l'état de ces constatations et énonciations, dont il résulte qu'aucune faute caractérisée par une violation des règles du jeu et imputables à un joueur, même non identifié, membre de l'association sportive à laquelle [le joueur blessé] appartenait lui-même, n'était établie, la Cour d'appel (...) a légalement justifié sa décision » 5.

I. Clubs sportifs et fait d'autrui

Cette décision, qui rassurera les tenants de la faute, est délicate à interpréter. Il importe d'opérer un retour aux sources en remontant aux origines de la « découverte » de cas de responsabilité du fait d'autrui en sommeil derrière l'article 1384, alinéa 1er.
L'arrêt Blieck de 1991 6, par une motivation proche de l'espèce, avait ouvert la voie à une extension potentiellement illimitée, tout en énonçant une formule en guise de critère : « la charge d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d'un handicapé ».
Une deuxième vague est intervenue avec les arrêts du 22 mai 1995 que l'on désigne volontiers sous l'appellation « clubs de rugby » 7. La motivation, plus générale, est sensiblement différente. En effet, il est énoncé que « les associations sportives ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent sont responsables, au sens de l'article 1384, alinéa 1erdu Code civil, des dommages qu'ils causent à cette occasion ». Il est vrai que dans les deux cas concernés, un coup de pied et une bagarre en cours de match, un auteur pouvait être identifié parmi les membres de l'équipe adverse de celle dont faisait partie la victime. La solution, plutôt contestée, a été réaffirmée par un arrêt de la deuxième chambre civile du 3 février 2000 8. L'espèce concernait toujours un match de rugby, au cours duquel un coup de poing avait été donné par un joueur à l'un de ses adversaires. Il est à noter que le jour même où la deuxième chambre civile consacrait la responsabilité des clubs sportifs pour le fait de leurs joueurs, la même formation inaugurait un troisième régime, resté « marginal », en retenant la responsabilité d'une commune pour le fait d'occupants à titre précaire d'un immeuble lui appartenant 9.
La solution concernant les clubs de rugby a été récemment étendue à une activité beaucoup moins masculine et dangereuse que les sports collectifs, puisque l'association chargée d'organiser un défilé de majorette a été rendue responsable du fait d'une concurrente ayant blessé une de ses collègues avec son « twirling-bâton » 10. En l'espèce, il est à noter que l'auteur et la victime faisaient partie de la même association. Il est vrai que ce type d'activité, à la différence des sports collectifs, ne crée pas d'affrontement direct entre deux équipes autre que la compétition pour offrir le meilleur spectacle. Doit-on saluer ou craindre ce type de décision, qui laisse supposer que les associations de pêche seront bientôt responsables du fait d'un membre qui aura lancé son hameçon dans l'oeil d'un autre concurrent, ou les clubs de belote pour le fait d'un joueur qui aura renversé son verre d'apéritif ? Le débat est ouvert.
La faute du responsable primaire, souvent évidente, s'avère d'autres fois bien difficile à caractériser, comme dans le cas des majorettes. Pourtant, elle est systématiquement éliminée des motivations, qui semblent se contenter d'un simple fait causal, lequel effraie une grande partie de la doctrine 11.
M. Julien a magistralement mis en évidence dans sa thèse 12 les liens existants entre les différentes responsabilités du fait d'autrui. Pour mémoire, rappelons que celle des père et mère n'est plus subordonnée à une faute de l'enfant. Cette évolution amorcée avec l'arrêt Fullenwarth 13 a, après bien des vicissitudes, été consacrée avec fracas par l'arrêt Levert 14 et les arrêts d'Assemblée plénière du 13 décembre 2002 15. S'agissant des commettants, le débat est vif en doctrine 16 mais force est de constater que l'arrêt Costedoat 17ne fait aucunement référence à une quelconque faute du préposé.

II. Clubs sportifs et fait causal ?

Le fait causal s'avère ainsi bien intégré dans les diverses responsabilités du fait d'autrui, qui ont été profondément transformées ces dernières années. Il convient donc de se demander pourquoi l'arrêt en question persiste à exiger une faute du responsable primaire pour rendre débiteur le civilement responsable. N'y a-t-il pas quelque contradiction à faire resurgir la faute au sein de responsabilités censées être objectives ?
Écartons par avance un argument qui ne manquera pas d'être soulevé : avec le fait causal, chacun répondrait de tout fait du responsable primaire qui cause un dommage et, pourquoi pas, de la simple présence de celui-ci. Dans une telle logique, le club de rugby qui remporte une coupe quelconque engagerait sa responsabilité à l'égard des perdants, le simple fait des joueurs adverses leur ayant causé un préjudice, financier notamment.
Il convient de se méfier des raisonnements par l'absurde, qui s'avèrent souvent fallacieux. Le fait causal ne peut être n'importe quel fait du responsable primaire. Il doit révéler une volonté d'agir, sans être nécessairement une intention de causer le dommage. De même, le droit à réparation de la victime peut se trouver barrer par un droit d'agir de l'auteur. « On existe toujours aux dépens d'autrui », disait Sartre. Dans une compétition sportive, une équipe peut infliger une cuisante défaite à une autre sans engager sa responsabilité. Un tel dommage n'est pas anormal.
La Cour de cassation, qui semble l'avoir compris puisqu'elle se contente de faits causaux pour engager des responsabilités, dispensant ainsi la victime de prouver une faute, n'a pas saisi l'occasion offerte par le pourvoi de consacrer une telle solution dans le régime applicable aux clubs sportifs. Il convient de s'interroger sur ce choix, qui tranche avec ses positions les plus récentes : la Haute juridiction aurait-elle opéré à cette occasion une volte-face ? Pour le savoir, prêtons attention à la motivation.
Une série d'éléments déduits des faits se retrouve dans la formule alambiquée adoptée par la Cour :
_ faute non établie,
_ caractérisation de la faute par une violation des règles du jeu,
_ imputable à un joueur,
_ même non identifié,
_ membre de l'association sportive,
_ à laquelle appartenait la victime.
Que peut-on en déduire ? Formulons des hypothèses simples. La Cour se contente-t-elle de laisser à l'appréciation souveraine des juges du fond, qui n'ont pas retenu de faute, le soin de déterminer si la responsabilité doit être engagée ? La réponse doit être négative. À l'évidence, la gardienne du droit préfère les guider en leur imposant une série de critères, sans toutefois bâtir une théorie.
L'explication réside-t-elle dans le fait que le dommage trouve, en l'espèce, sa source dans une action collective, alors que la Haute juridiction semble évoquer une faute imputable à un joueur unique, qui seule pourrait engager une responsabilité ? L'explication semble un peu courte. En effet, ce sont bien les sportifs de l'équipe qui ont causé le dommage !
La Cour de cassation a-t-elle souhaité prendre en compte les critiques doctrinales formulées contre ce régime et adopter une conception assez stricte de la responsabilité ? Si séduisante que soit cette idée, la charge incombant à ces associations pouvant apparaître excessive, une telle approche se heurte à l'arrêt des « majorettes » 18 qui en est une application et paraît éliminer toute référence à la faute.
Faut-il dès lors une violation des règles du jeu, pour engager la responsabilité des seuls clubs de rugby ? L'arrêt semble l'affirmer mais ce serait oublier un peu vite qu'un mineur victime d'un « malencontreux placage » a une action contre les parents de l'auteur 19. Dès lors, pourquoi un père pratiquant le rugby en amateur ne recevrait-il pas d'indemnisation pour le même dommage ?
L'interprétation de l'arrêt est peut-être beaucoup plus simple que cela. Relevons la formule qui évoque un « joueur (...) membre de l'association sportive à laquelle M. X (la victime) appartenait lui-même ». Il n'en faut pas davantage pour parier que le fait causal n'est pas mort et que la responsabilité des clubs de rugby ne nécessite une faute prouvée d'un joueur que dans l'hypothèse où c'est également un joueur du même club qui est victime de l'acte dommageable. La seule solution pour ce dernier est alors de se prémunir au moyen d'une assurance directe couvrant ses loisirs. C'était d'ailleurs le cas de la personne concernée, heureuse dans son malheur. De là à envisager une solution d'opportunité, il y a un pas que nous ne franchirons pas.
Il n'est jamais aisé de spéculer sur la portée d'un arrêt. Si distinguer entre les dommages causés par l'équipe de la victime, d'une part, et de l'équipe adverse, d'autre part, est bien le désir de la Cour de cassation, il n'en reste pas moins que le partage est peu justifiable et complique inutilement le régime mis en place. Remarquons qu'en l'espèce une responsabilité engagée pour un simple fait causal d'un joueur ou de l'équipe aurait offert une juste indemnisation à la victime tétraplégique, le sport étant le domaine privilégié des dommages causés sans faute. La volte-face de la Cour par rapport au fait causal, quand bien même elle serait limitée à une hypothèse proche de l'espèce, ne va pas dans le sens d'une plus grande justice.


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1 –
(1) Cass. civ. 2e, 22 mai 1995, Bull. civ. II, nos 155 et 156, Rapp., p. 319, J.C.P. 1995. II. 22550, note J. Mouly, Ibid., I. 3893, no 5, obs. G. Viney, R.T.D. Civ. 1995, p. 899, obs. P. Jourdain, Resp. civ. et assur. 1995, chron. 36, obs. H. Groutel.
2 –
(2) Cass. Ass. plén., 29 mars 1991, Bull. civ., no 1 ; rapp., p. 351 ; G.A.J.C., 11e éd., nos 218 et 219 (I) ; D. 1991, p. 324, note Ch. Larroumet ; J.C.P. 1991. II. 21373, concl. D.H. Dontenwille, note J. Ghestin ; Gaz. Pal. 1992. 2, p. 513, note F. Chabas ; Defrénois 1991, p. 729, note J.-L. Aubert ; R.T.D. Civ. 1991, p. 312, obs. J. Hauser et p. 541, obs. P. Jourdain.
3 –
(3) L'arrêt a fait l'objet des commentaires suivants : D. 2004, p. 300, note G. Bouché ; J.C.P. 2004. II. 10017, note J. Mouly ; Resp. civ. et assur. 2004, chron., p. 1, note J.-C. Saint-Pau. La présente note, rédigée avant ces publications, ne prendra pas en compte les opinions de ces auteurs, d'ailleurs largement différentes de celle ici exprimée.
4 –
(4) Rouen, 30 janvier 2002, Juris-data no 2002-179702.
5 –
(5) Un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 27 février 2002 (J.C.P. 2003. II. 10097, note C. Bloch) adopte une solution comparable, approuvée par le commentateur.
6 –
(6) Précité.
7 –
(7) Précités.
8 –
(8) Bull. civ. II, no 26, rapp., p. 399, D. 2000, p. 862, note S. Denoix de Saint Marc, Ibid., somm., p. 465, obs. P. Jourdain, J.C.P. 2000. II. 10316, note J. Mouly, Ibid., I, 241, no 15, obs. G. Viney, Defrénois 2000, p. 724, obs. D. Mazeaud, Resp. civ. et assur. 2000, comm. 110, obs. H. Groutel.
9 –
(9) Cass. civ. 2e, 22 mai 1995, D. 1996, p. 453, note T. Le Bars et K. Buhler, Defrénois 1995, p. 1057, obs. Ph. Delebecque, J.C.P. 1995. I. 3893, nos 5 et s., obs. G. Viney, R.T.D. Civ. 1995, p. 902, obs. P. Jourdain.
10 –
(10) Cass. civ. 2e, 12 décembre 2002, D. 2003, somm., p. 2541, obs. F. Lagarde, J.C.P. 2003. I. 154, nos 49 et s., obs. G. Viney, Resp. civ. et assur. 2003, chron. 4, note H. Groutel, LPA du 7 avril 2003, p. 11, note F. Buy, Ibid. 30 septembre 2003, p. 9, note J.-B. Laydu, R.T.D. Civ. 2003, p. 305, obs. P. Jourdain.
11 –
(11) V. notamment F. Leduc, Le spectre du fait causal, Resp. civ. et assur. 2001, chron. 20.
12 –
(12) La responsabilité civile du fait d'autrui : ruptures et continuités, P.U.A.M., 2001.
13 –
(13) Cass. Ass. plén., 9 mai 1984, Bull. civ., no 4, rapp., p. 104, G.A.J.C., 11e éd., nos 208-209 (I), D. 1984, p. 525, concl. J. Cabannes, note F. Chabas, J.C.P. 1984. II. 20255, note N. Dejean de la Bâtie, R.T.D. Civ. 1984, p. 508, obs. J. Huet.
14 –
(14) Cass. civ. 2e, 10 mai 2001, Bull. civ. II, no 96, rapp., p. 435, D. 2001, chron., p. 2851, rapp. P. Guerder, note O. Tournafond, Ibid. 2002, somm., p. 1315, obs. D. Mazeaud, J.C.P. 2001. II. 10613, note J. Mouly ; Ibid. 2002, I, 124, nos 20et s., obs. G. Viney, Defrénois 2001, p. 1275, note E. Savaux ; Resp. civ. et assur. 2001, chron. 18, note H. Groutel, Dr. fam. 2002, chron. 7, note J. Julien, R.J.P.F. 2001-9, p. 41, note F. Chabas, LPA du 3 décembre 2001, note F. Niboyet, R.T.D. Civ. 2001, p. 601, obs. P. Jourdain.
15 –
(15) D. 2003, jur., p. 231, note P. Jourdain, J.C.P. 2003, II, 10010, note A. Hervio-Lelong, ibid., 1, 154, nos 46 et s., obs. G. Viney, Gaz. Pal. 2003, 2, p. 1008, note F. Chabas et p. 1035, note J. Icard et F.-J. Pansier, Resp. civ. et assur. 2003, chron. 4, note H. Groutel, LPA du 18 avril 2003, p. 78, note J.-B. Laydu. L'arrêt, rendu sur le visa des alinéas 1er, 4 et 7 du Code civil, laissait penser que la responsabilité purement causale consacrée en matière de responsabilité parentale s'étendrait aux régimes prétoriens de responsabilité du fait d'autrui.
16 –
(16) V. notamment J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Les Obligations, T. 2, Le fait juridique, Armand Colin, coll. U, 9eéd., 2001, no 213.
17 –
(17) Cass. Ass. plén., 25 février 2000, Bull. civ., no 2, rapp., p. 257 et 315, G.A.J.C. 11e éd., no 217, D. 2000, p. 673, note Ph. Brun, ibid. somm., p. 467, obs. Ph. Delebecque, J.C.P. 2000. II. 10295, concl. R. Kessous, note M. Billiau, ibid., I, 241, nos16 et s., obs. G. Viney, Gaz. Pal. 2000. 2. 1462, note F. Rinaldi, Resp. civ. et assur. 2000, chron. 11, note H. Groutel et chron. 22, note Ch. Radé, R.T.D. Civ. 2000, p. 582, note P. Jourdain.
18 –
(18) Cass. civ. 2e, 12 décembre 2002, précité.
19 –
(19) Arrêt Levert du 10 mai 2001, précité.

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