Cautionnement : du formalisme au principe de
proportion,
note sous Com. 15 nov. 2017, n° 16-10.504
par Marie-Pierre Dumont-Lefrand*
Le droit
du cautionnement n'est pas un long fleuve tranquille et révèle au juriste, si
besoin en était, que la certitude laisse sans arrêt place à l'incertitude pour,
à nouveau, tendre vers la certitude de ce que le droit doit s'adapter à la
réalité et aux nouvelles utilisations des outils juridiques. Il est vrai que
lorsque plusieurs intérêts sont en présence, il est bien nécessaire de trouver
un juste équilibre entre la protection de la caution et le souci d'assurer une
sécurité suffisante au créancier. En attendant que le législateur propose une
nouvelle réforme d'ensemble, le juge continue de jouer son remarquable rôle
créateur d'équilibriste entre les forces en présence.
L'arrêt
commenté ([1])
est l'occasion d'observer à nouveau cette oeuvre prétorienne. Il est, en effet,
doublement stimulant. D'abord, parce qu'il poursuit le travail de détermination
de la teneur du formalisme validant en cas de cautionnement sous seing privé
consenti par une personne physique à un créancier professionnel, en
infléchissant les exigences pourtant posées par le législateur, à peine de
nullité. Ensuite, parce qu'il règle une question récemment controversée, en se
prononçant sur l'influence de la saisissabilité des biens et revenus de la
caution, commune en biens, sur l'appréciation de la proportionnalité de son
engagement.
En
l'espèce, une personne physique, le dirigeant de la SAS Le Fournil 85, s'était
portée caution personnelle et solidaire des engagements de sa société au profit
de l'un de ses fournisseurs, la SAS Brunet Fils. Cette dernière dut apparemment
« laisser filer sa créance », sachant qu'elle disposait de deux cautionnements,
respectivement souscrits les 7 décembre 2009 et 22 juillet 2010, pour des
montants de 143 375 et 115 673 € contre le dirigeant de la société débitrice. À
la suite du redressement, puis de la liquidation judiciaire de cette dernière,
le créancier a naturellement assigné la caution en exécution de ses engagements.
Pour refuser de payer, la caution a alors plaidé, à la fois, la nullité de son
engagement de cautionnement et son inefficacité. Sollicitée en paiement, la
caution a, d'abord, invoqué la nullité du cautionnement souscrit au motif que
la mention manuscrite ne stipulait aucune limitation de durée de l'engagement
de caution. En effet, la mention manuscrite apposée dans l'acte de
cautionnement litigieux était la suivante : « en me portant caution de la
société FOURNIL 85, dans la limite des sommes de... et jusqu'au paiement
effectif de toutes les sommes dues, je m'engage... ». Il s'agissait donc de
s'interroger sur la pertinence de l'exception de nullité du cautionnement tirée
de sa durée indéterminée. Or la Cour de cassation fait droit à la demande principale
et juge, au visa des articles L. 341-2 et L. 341-6 du code de la consommation,
le cautionnement parfaitement valable au motif que « le cautionnement à durée
déterminée est licite ». Elle ajoute même que, dès lors que la mention
litigieuse « ne modifiait pas le sens et la portée de la mention manuscrite
légale, c'est à bon droit que la cour d'appel en a déduit que les
cautionnements litigieux n'étaient pas entachés de nullité pour violation de
l'article L. 341-2 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à
celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ». Ensuite, la caution plaidait la
disproportion manifeste de son engagement. À cet effet, elle faisait valoir que
le montant cumulé des deux cautionnements équivalait à 460 % de sa rémunération
annuelle perçue en 2010, de sorte que ses engagements auraient été, lors de
leur souscription, manifestement disproportionnés à ses revenus. Elle ajoutait
que, comme son patrimoine ne comportait qu'un bien immobilier, en l'occurrence
constituant un bien de communauté (légale), celui-ci ne pouvait pas être pris
en considération pour apprécier le caractère proportionné ou non de son
engagement dès lors que son épouse n'avait pas consenti à la souscription des
cautionnements litigieux. Mais la Cour de cassation ne la suit pas en son
argumentation et juge que « la disproportion manifeste de l'engagement de la
caution s'appréciant, selon l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans
sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016, par
rapport, notamment, à ses biens, sans distinction, c'est à bon droit que la
cour d'appel a retenu que celui de M. Y dépendant de la communauté devait être
pris en considération, quand bien même il ne pourrait être engagé pour
l'exécution de la condamnation éventuelle de la caution, en l'absence de
consentement exprès du conjoint ».
Ce
faisant, la Cour de cassation prend position, de façon relativement
surprenante, sur deux points d'actualité, souvent invoqués, du droit du
cautionnement, tenant, d'une part, à la validité du cautionnement et, d'autre
part, à l'efficacité du contrat de cautionnement.
I - Sur
la validité du contrat de cautionnement
Aux
termes de l'article L. 341-2 du code de la consommation, le formalisme
informatif impose, à peine de nullité, pour les cautionnements sous seing privé
conclus par une personne physique envers un créancier professionnel, une double
exigence : la mention manuscrite légale doit faire référence au montant de la
somme garantie (« en me portant caution de X dans la limite de la somme de...
»), ainsi qu'à la durée de l'engagement de caution (« en me portant caution...
pour la durée de... »). De cette formulation très claire du texte, l'on en
déduisait classiquement une limitation de l'étendue de ce type de cautionnement.
C'est sur cette incidence du formalisme en termes d'étendue du cautionnement
que la Cour de cassation semble revenir, à travers une lecture plus
téléologique du texte.
A - La
lecture littérale des textes découragée
L'ambition
du formalisme informatif des articles L. 341-2 et suivants (devenus L. 331-1
s.) du code de la consommation était assurément vertueuse. En abandonnant la
thèse du formalisme ad probationem pour un formalisme ad validitatem, il
s'agissait de faire prendre pleinement conscience à la caution de la portée et
de la gravité de l'engagement qu'elle s'apprête à consentir. Cette vertu
préventive du formalisme légal avait donc comme but de sécuriser les contrats
de cautionnement visés par les textes, en responsabilisant les cautions et en réduisant
les sources de contestation (2).
Toutefois,
cet « effet recherché » (3) du formalisme informatif n'a pas été sans heurts.
Des difficultés n'ont pas manqué d'apparaître. Vu que la sanction de ces
formalités est la nullité, certes relative (4), du cautionnement, les cautions
se sont engouffrées dans cette brèche pour tenter de faire invalider leurs
engagements. L'exigence d'un formalisme validant, d'interprétation apparemment
très simple, est alors devenu un nid à contentieux où les juges ont essayé de
faire preuve de pragmatisme pour éviter que l'élémentaire morale (5) ne soit
bafouée afin de ne pas libérer des personnes de mauvaise foi. Entre retenir une
interprétation littérale des textes pouvant conduire, au nom de la sécurité
juridique, à libérer des cautions de mauvaise foi, et autoriser une lecture
plus téléologique du texte aboutissant à ne conclure à la nullité de l'acte
qu'en cas d'altération du consentement de la caution, la jurisprudence a
finalement choisi. Elle retient une application assez souple des textes en se
fixant une grille de lecture : en cas de discordance entre la mention légale et
celle apposée dans un acte de cautionnement, avant de conclure à la nullité, il
convient encore de vérifier s'il s'agit d'une erreur matérielle, à défaut, si
le sens et la portée de la mention ne sont pas affectés, et, enfin, si tel est
le cas, d'observer si celle-ci est favorable (6) à la caution.
Cette
sécurisation du contrat de cautionnement s'est notamment traduite par une
délimitation de l'étendue du cautionnement. Comme l'a relevé notre collègue D.
Legeais (7), le respect de l'exigence légale de la mention manuscrite limite la
liberté des parties. Le texte de l'ancien article L. 341-2 du code de la
consommation a signé la fin des cautionnements dits omnibus ainsi que, nous
semblait-il, celle des cautionnements à durée indéterminée, tout au moins
lorsqu'il s'agissait d'un acte sous seing privé souscrit par une personne
physique au profit d'un créancier professionnel. Dans ce contexte, la limite tenant
à la durée de l'engagement de la caution n'a pas manqué de faire débat. On
s'est, en particulier, interrogé sur la teneur de cette exigence. Comment la
mention manuscrite doit-elle finalement exprimer cette durée obligatoire ? À y
regarder de plus près, l'article L. 331-1 du code de la consommation ne fixe
pas la manière dont la durée de l'engagement doit être mentionnée dans l'acte
de cautionnement (8). D'ordinaire, lorsqu'une simple durée est indiquée,
celle-ci pose un terme extinctif à l'engagement de la caution. Au-delà de
celui-ci la caution est libérée. Mais est-il possible d'aménager ce terme,
voire de ne pas limiter la durée de son engagement ? Une durée indéterminée
est-elle envisageable ?
L'arrêt
du 15 novembre 2017 revient sur l'idée reçue selon laquelle seul le
cautionnement passé par acte authentique pourrait être à durée indéterminée
(9). Ce faisant, il nous semble aller au-delà de l'esprit, si ce n'est de la
lettre, de l'article L. 341-2 du code de la consommation tel qu'applicable en l'espèce.
B - La
lecture téléologique des textes encouragée
La
solution est rendue au visa de la combinaison des articles L. 341-2 et L. 341-6
du code de la consommation dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 14
mars 2016. Selon la Cour de cassation, si l'article L. 341-2 du code de la
consommation oblige à déterminer la durée du cautionnement donné par acte sous
seing privé par une personne physique en faveur d'un créancier professionnel,
il n'impose pas l'énonciation d'une date fixe. Dès lors, dans la mesure où ce
texte ne prévoit que l'indication d'une durée déterminable, cette exigence est
respectée par la mention manuscrite litigieuse. La durée de l'engagement de
caution stipulée « jusqu'au paiement effectif de toutes les sommes dues » est
tout simplement un engagement à durée indéterminée que la Cour de cassation
valide. Pour ce faire, elle sollicite, outre la latitude laissée par l'article
L. 341-2, la précision de l'article L. 341-6 du code de la consommation
ancienne version. Ce texte évoque, en effet, l'obligation annuelle
d'information de la caution personne physique par le créancier professionnel et
régit expressément, dans sa deuxième phrase, le cas de l'engagement de caution
à durée indéterminée. Dans cette hypothèse, il impose au créancier le rappel de
la faculté de révocation du cautionnement à tout moment, et les conditions dans
lesquelles celle-ci est exercée. Or, si l'article L. 341-2 vise expressément
l'acte sous seing privé, l'obligation d'information n'est pas conditionnée par
la forme de l'engagement de caution. Dès lors, la Cour en déduit que le
cautionnement, y compris sous seing privé, peut donc être à durée indéterminée
(puisque la caution doit être informée de la faculté de révocation). Auquel
cas, le membre de phrase « pour la durée de... » prescrit par l'article L.
341-2 ne régit pas le cautionnement à durée indéterminée. En revanche, la Cour
approuve les juges du fond d'avoir pris la précaution de vérifier que la
caution ait pu apprécier le sens et la portée de son engagement. Elle les
encourage même, conformément à sa jurisprudence, à veiller à ce que la mention
manuscrite apposée énonce, par une formulation claire et non équivoque, cette
durée indéterminée de l'engagement souscrit, toujours à peine de nullité de
celui-ci.
Cette
position, si elle peut se justifier par l'interprétation des textes, est
toutefois surprenante. D'abord, parce que l'interprétation des textes est ici
discutable. Déduire d'un texte relatif à l'obligation d'information, qui
prévoit une simple déchéance des pénalités ou intérêts de retard, une nouvelle
condition validante d'un cautionnement sous seing privé, en admettant la
licéité d'un cautionnement à durée indéterminée, quasiment contra legem, est
assez osé. Le domaine d'application des deux dispositions est nécessairement
différent. Ensuite, la jurisprudence, certes dans une autre composition,
semblait avoir montré une voie différente. Dans une espèce où la mention portée
sur l'acte litigieux était rédigée ainsi : « En me portant caution de la SARL X
dans la limite de la somme de 69 000 € couvrant le paiement du principal, des
intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêt de retard et pour la
durée de l'opération garantie + deux ans (...) », la Cour de cassation a annulé
le cautionnement. Elle l'a fait au motif que « si les dispositions de l'article
L. 341-2 du code de la consommation ne précisent pas la manière dont la durée
de l'engagement de caution doit être exprimée dans la mention manuscrite, il
n'en demeure pas moins que, s'agissant d'un élément essentiel permettant à la
caution de mesurer la portée exacte de son engagement, cette mention devait
être exprimée sans qu'il soit nécessaire de se reporter aux clauses imprimées
de l'acte » (10). Pourtant la durée de l'opération, de 84 mois, figurait en
page 1 du contrat de cautionnement. Or, en l'espèce, l'expression « jusqu'au
paiement effectif de toutes les sommes dues », stipulée dans la mention
manuscrite, obligeait sans doute la caution si ce n'est à se reporter au
contrat de cautionnement, à se référer à l'information annuelle du créancier
sur l'encours de la dette principale. Ainsi, la seule rédaction de la mention
manuscrite ne nous paraît pas permettre, en l'espèce, à la caution, d'apprécier
la mesure exacte et précise de son engagement, si ce n'est qu'il est à durée
indéterminée.
Au-delà
de cette apparente divergence de position, de ces deux jurisprudences, se
déduit l'idée que la caution doit avoir, au travers de la seule mention
manuscrite, une parfaite connaissance de l'étendue et de la durée de son
engagement sans nécessairement avoir lu l'acte de cautionnement, tout au moins
les clauses de montant et de durée.
Ces
solutions sont assurément pragmatiques et révèlent, finalement, les limites du
formalisme ad validitatem. Il est nécessaire de protéger les cautions personnes
physiques en sécurisant le cautionnement, mais il est, par ailleurs, frustrant
de récompenser l'éventuelle mauvaise foi de certaines d'entre elles au nom de
la sécurité juridique. Aussi, en maintenant comme garde-fou que la mention « ne
modifie pas le sens et la portée de la mention manuscrite légale », en
vérifiant si le consentement de la personne protégée n'est pas altéré, les
juges continuent de faire preuve de pragmatisme, et proposent une lecture
téléologique des textes. Cette jurisprudence qui s'accommode avec les exigences
posées par le formalisme légal en validant certaines altérations de la mention
manuscrite, et en en rejetant d'autres, nous paraît être un appel au
législateur.
L'originalité
de la décision se traduit aussi dans la seconde partie de la solution, tenant
cette fois-ci à l'efficacité du contrat de cautionnement.
*
Agrégée des Facultés de droit, Responsable du Master II DJCE de Montpellier
Dalloz. N° 7 du 22 fev
2018, p 392.
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