samedi 21 septembre 2019

337 : Panorama de droit des contrats : Décembre 2017 - Décembre 2018 , par M. Mekki

Droit des contrats
décembre 2017-décembre 2018
Mustapha Mekki, Agrégé des Facultés de droit,
Professeur à l'Université Paris 13 - Sorbonne Paris Cité, Co-directeur de l'IRDA

I - Droit transitoire

Voici venu le temps... du droit transitoire ! Comme certains commentateurs de la loi l'avaient prédit, la réforme du droit des obligations soulève de nombreuses questions de droit transitoire (V. not. A. Bénabent, Application dans le temps de la loi de ratification de la réforme des contrats (art. 16 de la loi du 20 avr. 2018), D. 2018. 1024. Avant la loi de ratification, V. S. Gaudemet, Dits et non-dits sur l'application dans le temps de l'ordonnance du 10 février 2016, JCP 2016. Act. 559, p. 958). A priori les principes posés par l'ordonnance du 10 février 2016 (art. 9), modifiée et complétée par la loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018 (art. 16), sont clairs. Sauf exceptions (art. 1123, 1158 et 1183 c. civ.), tous les faits et actes accomplis avant le 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance, sont soumis à la loi ancienne. Il s'agit de la « postactivité de la loi ancienne » (Sur cette question, S. Mercoli, À propos de l'article 16 de la loi du 20 avril 2018 ratifiant l'ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats : simple précision méthodologique ou réforme du droit transitoire ?, LPA 25 juin 2018, p. 12). Ensuite, seuls les faits et actes accomplis entre le 1er octobre 2016 et le 1er octobre 2018 sont soumis au droit intermédiaire non modifié de l'ordonnance du 10 février 2016. Les règles interprétatives issues de la loi de ratification sont également applicables au 1er octobre 2016, jour de l'entrée en vigueur des textes interprétés (« les articles 1112, 1143, 1165, 1216-3, 1217, 1221, 1304-4, 1305-5, 1327-1, 1328-1, 1347-6 et 1352-4 du code civil, ont un caractère interprétatif », art. 16). S'agissant des dispositions de la loi de ratification opérant une modification substantielle de l'ordonnance, elles sont applicables depuis le 1er octobre 2018, date d'entrée en vigueur de la loi.

Droit transitoire et compréhension des juges du fond. Les principes sont clairs, même si certains juges du fond ont parfois du mal à les intégrer. Telle est l'illustration que fournit un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 19 septembre 2018 (Civ. 1re, 19 sept. 2018, n° 17-24.347, D. 2018. 1863 ; AJ Contrat 2018. 477, obs. G. Chantepie). En l'espèce, les juges du fond ont libéré un prestataire de services de son obligation d'entretien d'un système de climatisation d'un particulier en motivant leur décision par le fait qu'un des éléments essentiels du contrat avait disparu le rendant impossible à exécuter et donc caduc, sur le fondement de l'article 1186 du code civil. L'arrêt est légitimement cassé. Le contrat ayant été conclu avant le 1er octobre 2016, l'ancien droit aurait dû s'appliquer. Cependant, même à l'aune du droit ancien, la libération du débiteur aurait été difficile à justifier. Si le contrat de maintenance ne pouvait pas être exécuté, c'était en raison d'un accès au matériel rendu plus difficile, dû à des travaux de voirie rendant nécessaire l'utilisation d'une nacelle que le propriétaire ne voulait pas payer. Tout d'abord, à plusieurs reprises la Cour de cassation a certes jugé qu'un contrat dont l'exécution était devenue impossible est caduc (Com 4 oct. 2011, n° 10-10.548, Rev. sociétés 2012. 424, note L. Godon : à propos d'une clause d'exclusivité impossible à exécuter). Cependant, il n'est pas certain qu'en l'espèce, on ait affaire à un élément essentiel disparu justifiant la caducité du contrat. S'il y a impossibilité d'exécuter, elle aurait pu ensuite être qualifiée de force majeure. Cette impossibilité d'exécution, qui libère le débiteur, renvoie à la théorie des risques. Res perit debitori, les risques pèsent sur le débiteur, libéré en cas de force majeure, et qui doit dispenser le créancier de son obligation d'en payer le prix. Cela a pu autrefois être fondé sur la disparition de la cause dans les contrats synallagmatiques (Comp. Civ. 1re, 30 oct. 2008, n° 07-17.646, D. 2008. 2937, et 2009. 747, chron. P. Chauvin et C. Creton ; RTD civ. 2009. 111, obs. J. Hauser, et 118, obs. B. Fages). Cela pourrait demain être fondé sur l'article 1351 du code civil qui dispose que l'impossibilité d'exécution libère le débiteur « lorsqu'elle procède d'un cas de force majeure et qu'elle est définitive », ce qui entraîne la résolution du contrat (art. 1218, al. 2, c. civ.). Il n'est cependant pas certain que l'obligation pour le débiteur d'utiliser une nacelle rendant le coût plus onéreux constitue une impossibilité d'exécuter de manière définitive. La force majeure aurait été un fondement très discutable. Enfin, ne peut-on au moins y voir un cas d'imprévision ? Enfin, à l'aune du droit nouveau, pourrait-on demain y voir un cas d'imprévision ? En définitive, l'analyse des solutions qui auraient pu être rendues à l'aune du droit ancien permet de penser que c'est moins pour une raison de droit transitoire que pour une raison de fond que la décision des juges du fond a en l'occurrence été censurée.

Les pouvoirs du juge et le droit transitoire. La loi de ratification a prohibé tout recours par le juge à la théorie de l'effet légal et à celle de l'ordre public impérieux pour anticiper l'entrée en vigueur de certaines dispositions nouvelles (art. 9 mod. par la loi de ratification). Cependant, cette modification est sans effet sur l'interprétation du droit ancien à la lumière du droit nouveau initiée par la Cour de cassation. Dès les premiers mois de l'ordonnance du 10 février 2016, en effet, la Cour de cassation a multiplié les interprétations du droit ancien à la lumière du droit nouveau (Cass., ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411 ; rappr. Civ. 1re, 20 sept. 2017, n° 16-12.906, D. 2017. 1911 ; RTD civ. 2017. 837, obs. H. Barbier et, surtout, Soc 21 sept. 2017 n° 16-20.103, D. 2017. 2289, note B. Bauduin et J. Dubarry, 2007, note D. Mazeaud, 2018. 371, obs. M. Mekki, et 435, obs. S. Karaa ; AJ Contrat 2017. 480, obs. C.-E. Bucher ; Dr. soc. 2018. 170, étude R. Vatinet, et 175, étude Y. Pagnerre ; RDT 2017. 715, obs. L. Bento de Carvalho ; RTD civ. 2017. 837, obs. H. Barbier), pour justifier une série de revirements de jurisprudence. Les dernières décisions confirment néanmoins que l'interprétation audacieuse de la Cour de cassation reste dans les limites du raisonnable. Pour preuve, deux arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 6 décembre 2018 (Civ. 3e, 6 déc. 2018, n° 17-21.170 (promesse unilatérale de vente), D. 2019. 298, avis P. Brun, et 301, note M. Mekki ; et n° 17-23.321 (pacte de préférence), D. 2018. 2413, et 2019. 294, note S. Tisseyre) témoignent de la prudence des magistrats dans le domaine spécifique des contrats préparatoires.

Dans le premier arrêt, diffusé et non publié, l'avocat général, Philippe Brun, avait invité la Cour de cassation à opérer un revirement de jurisprudence en combattant la jurisprudence Consorts Cruz du 15 décembre 1993 (pour une vue complète, P. Malinvaud, D. Fenouillet et M. Mekki, Droit des obligations, LexisNexis, 14e éd., 2017, n° 154, p. 141) et en accordant l'exécution forcée en nature au bénéficiaire sans aucune référence formelle au nouvel article 1124, alinéa 2, du code civil qui en fait désormais le principe. Non seulement la Cour de cassation n'a pas souhaité formellement interpréter le droit ancien à la lumière du droit nouveau, ce qui aurait probablement pu être analysé comme une atteinte excessive à la prévisibilité des parties (art. 1er du premier protocole à la Conv. EDH ou à l'art. 6, § 1, de la Conv. EDH), mais surtout elle a préféré reconduire la jurisprudence antérieure, la promesse avant levée de l'option « excluant toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d'acquérir (...) ». On peut d'ailleurs se demander si, sous l'empire du droit nouveau, l'exécution forcée aurait été envisageable au fondement de l'article 1124, alinéa 2, du code civil. En effet, il était en l'espèce question d'une promesse unilatérale de vente post mortem. Le point de départ du délai d'option était fixé au décès d'un propriétaire antérieur titulaire d'un droit d'habitation. Or la rédaction maladroite de l'article 1124, alinéa 2, pourrait être exploitée par le promettant (ou ses héritiers) pour défendre l'éviction de toute exécution forcée et l'inapplicabilité de l'article. En effet, l'article dispose que l'exécution forcée et la rétractation sans effet du promettant concernent le cas où cette dernière interviendrait « pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter ». Or, tant que le propriétaire antérieur est encore vivant, le temps laissé au bénéficiaire n'a pas encore commencé à courir, excluant en amont toute application de cet alinéa 2 ! Même si cette interprétation joue sur l'ambiguïté du texte, elle peut parfaitement être défendue. En tout état de cause, l'arrêt confirme la prudence des magistrats de la Cour de cassation qui n'abuse pas de cet outil qu'est l'interprétation du droit ancien à la lumière du droit nouveau.

Dans le même esprit, dans le second arrêt, une promesse unilatérale de contrat a été conclue alors que le promettant était tenu par un pacte de préférence de dix ans (pour plus de détails, V. infra). La question consistait à savoir si la conclusion d'une telle promesse constituait une violation du pacte de préférence. L'occasion était ici belle de consacrer l'engagement définitif du vendeur dans une promesse unilatérale de vente, qui l'expose à une demande en exécution forcée, confortant ainsi la violation du pacte. Au lieu de cela, sans autre explication, la promesse est analysée comme un engagement suffisant pour constituer une violation du pacte de préférence : « le pacte de préférence implique l'obligation, pour le promettant, de donner préférence au bénéficiaire lorsqu'il décide de vendre le bien ». Y a-t-il une différence entre la décision de vendre et l'engagement à vendre ? Si la promesse engage et constitue une violation du pacte de préférence, engage-t-elle au point de fonder une demande en exécution forcée ? Aucune précision n'est apportée sur ce point (répondant par l'affirmative de manière implicite, V. Civ. 3e, 7 juin 2018, n° 17-18.670, AJDI 2018. 627 qui parle du promettant qui « ne peut renoncer à la vente » et peut être « contraint »). Décidément, prudence est mère de sûreté !


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