jeudi 23 mars 2017

123 : Le mariage pour tous face aux systèmes de tradition musulmane, par L. Gannagé




1. Le mariage pour tous face aux systèmes de tradition musulmane, par L. Gannagé*


La décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 28 janvier 2015 constitue sans doute le dernier acte du bras de fer qui oppose partisans et adversaires du mariage pour tous.
Sur les cent quatre-vingt-treize États qui sont aujourd'hui membres de l'Organisation des Nations Unies, seule une vingtaine autorise le mariage homosexuel.
un « forçage » de l'ordre public international, dont les conséquences dans les relations internationales, en particulier avec les systèmes relevant de cultures différentes, n'ont sans doute pas été suffisamment évaluées.
L’intégration du droit au mariage pour les couples homosexuels, au sein de l'ordre public international, peine à convaincre.
si l'on veut bien se souvenir qu'en 2012 encore, la première chambre civile mettait en avant l'ordre public international pour s'opposer à l'accueil en France des décisions étrangères autorisant l'adoption au profit de couples homosexuels, lesquelles étaient alors jugées contraires « aux principes essentiels » du droit français (Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n° 11-30.261
Ce travestissement inopiné de l'ordre public international a quelque chose d'artificiel. En vigueur en France il y a tout juste quelques mois, la prohibition du mariage homosexuel, devient désormais attentatoire aux fondements même de la société française.
C'est dire le traitement tout à fait exceptionnel réservé au mariage pour tous. Adopté à la faveur d'une réforme qui a profondément divisé les Français, il accède au rang de valeur intangible de la société française au moment même où il voit le jour.
La mise à l'écart des lois étrangères interdisant le mariage homosexuel permettrait à cet égard de renforcer l'effectivité de la réforme voulue par le législateur.
Rappelant la nécessité de respecter les solutions prévues par les conventions bilatérales, le rapporteur concluait alors sans hésitations : « Dès lors, si la loi nationale du Maroc ou du Vietnam, par exemple, n'autorise pas le mariage des personnes de même sexe, les ressortissants de ces États ne pourront pas se marier en France y compris avec un Français » (Rapp. Sénat n° 437, 20 mars 2013, p. 54, J.-P. Michel).
l'argument de la discrimination à l'égard des ressortissants marocains, qui seraient empêchés de célébrer un mariage homosexuel en France, n'a pas semble-t-il retenu l'attention du Sénat.
La décision de la Cour de cassation doit de ce fait être située dans l'histoire un peu tourmentée des relations qu'entretient le système français avec les systèmes de tradition musulmane. Il n'est pas certain à cet égard que l'arrêt du 28 janvier 2015 puisse contribuer à y ramener la sérénité.
Le fossé qui sépare les systèmes européens et les systèmes de tradition musulmane est désormais tellement profond que l'on peut valablement se demander s'il est encore possible de le réduire,
Bien davantage que le discours convenu sur le dialogue des cultures, c'est en réalité la multiplication des relations familiales qui se nouent entre les ressortissants des États musulmans et des États européens qui commande de réfléchir aux moyens de réduire la distance entre les ordres juridiques.
tende à ruiner toute possibilité d'envisager un rapprochement quelconque des systèmes autour des droits de l'homme.
Qu'ils soient proclamés par la Cour de Strasbourg ou par les juridictions nationales, les droits de l'homme apparaissent de plus en plus comme ceux de l'homme européen, et parfois même de l'homme français, et de lui seul.
La liberté fondamentale de se marier reconnue aux couples homosexuels n'est pas consacrée dans l'ensemble des systèmes européens, et n'a en toute hypothèse aucune vocation à être exportée dans les systèmes musulmans.
Une telle évolution nourrit inévitablement le relativisme des droits fondamentaux. En liant exclusivement les droits de l'homme à la culture, elle les dresse désormais les uns contre les autres, droits de l'homme musulman contre droits de l'homme européen. Corrélativement, elle leur retire toute aptitude à rapprocher les systèmes et à fonder une quelconque communauté de valeurs au-delà des différences culturelles.
On le voit, l'ampleur des divergences entre les systèmes est édifiante. Était-il, de ce fait, absolument indispensable d'ajouter à la liste, déjà longue, des antagonismes qui opposent le système français aux systèmes de tradition musulmane le défaut d'adhésion de ceux-ci au mariage pour tous ?
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* Résumé du Note sous l’arrêt Cass. 1re civ., 28 janv. 2015, n° 13-50.059, par Léna Gannagé, La Semaine Juridique Edition Générale n° 12, 23 Mars 2015, 318.


vendredi 15 juillet 2016

22 : La réparation du dommage résultant d’un acte médical injustifié, par M. Bellamallem

La réparation du dommage résultant d’un acte médical injustifié

 Tribunal administratif de Paris, Ordonnance du 04 JUILLET 2017, n°1705358/11-6

Par: Mohammed Bellamallem

Table des matières

§ I. ILLUSTRATIONS DE FAUTES
1. Le 20 septembre 2013 :
a.     L’erreur
Le 3 octobre 2013 :
a.     Principe de consentement:
Le 5 mars 2015 :
a.     Violence morale
b.    Faute déontologique
c.     L’absence d’une nécessité évidente ou un danger immédiat
Le 3 avril 2015
a.     L’urgence et le report du RDV sans précision
b.    Examen dans le cadre d’un enseignement clinique sans  consentement préalable
c.     De l’expérimentation sur la personne humaine
Le 24 avril 2015 :
a.     Les contraintes
b.    Exploitation abusive d’une situation de dépendance
c.     L’influence de l’enseignement clinique sur la liberté du consentement
d.    Faute de diagnostic
e.    Abus de faiblesse
Le  30 avril 2015
a.     Manque à l’obligation d’information sur les conséquences, et les risques
b.    Obligation de se renseigner sur l'état de santé du patient
c.     Choix d’un traitement disproportionné

Le 17 mai 2015 :
a.     L’inexécution du contrat
b.    L’abus frauduleux de l’état d’ignorance
c.     Obligations postérieures à l'acte de soins
Le 26 juin 2015
a.     Discrimination et refus de soin pour la CMU

§ II : Réparation intégrale du dommage
A titre principal :
A titre subsidiaire :





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mardi 15 mars 2016

91: L’extraction des dents sans une nécessité évidente ou un danger immédiat, note sous CA Caen 15 dec 2015, par CNSD

Un chirurgien-dentiste a arraché 17 dents d’une victime

La cour d’appel de Caen par un arrêt du 15 décembre 2015 n° 14/01297


Après des extractions multiples et des prothèses transitoires amovibles qu’il ne supporte pas, un patient met en cause la responsabilité civile de son chirurgien-dentiste. Si le traitement mis en oeuvre avait pourtant tenu compte de sa situation professionnelle et des difficultés d’un suivi efficace de toute thérapeutique conservatrice, il n’avait pas donné lieu à une information préalable suffisante. Analyse de l’arrêt de la cour d’appel de Caen du 15 décembre 2015, n° 14/01297

Les faits

Monsieur B. exerce la profession de chauffeur routier. Victime d’une infection dentaire en novembre 2004, il consulte le docteur P. qui réalise une radiographie panoramique et tente une approche globale de la situation dentaire du patient, sans pour autant établir un bilan clinique précis, notamment par une évaluation circonstanciée des structures parodontales. L’activité professionnelle du patient, constamment en déplacement, interdit tout suivi régulier. Une thérapeutique parodontale conservatrice paraît donc, en toute logique, difficile à mettre en œuvre. Cette difficulté matérielle d’observance est évoquée par le patient qui exprime le désir de ne conserver aucune dent pouvant nécessiter des soins ultérieurs.Le chirurgien-dentiste propose, suivant un devis présenté en mai 2005, l’extraction de toutes les dents et leur remplacement par des prothèses amovibles complètes transitoires immédiates. Un 2e devis est établi pour les prothèses définitives, complète supérieure et subtotale (11 dents) inférieure. 

Les difficultés s'annoncent, les intervenants se multiplient

L’extraction des dents sous anesthésie générale est programmée pour le 2 septembre 2005, mais, confronté à des difficultés techniques, le chirurgien-dentiste ne réalise que l’extraction des dents supérieures. Les dents mandibulaires (sauf 33-34 et 43) sont extraites le 29 septembre 2005, également sous anesthésie générale. Trois semaines plus tard, les prothèses transitoires sont posées et le patient paie les honoraires prévus (920 € ).Mais, ne supportant pas les prothèses amovibles, monsieur B. consulte d’autres chirurgiens-dentistes, se plaignant également d’une dépression des joues consécutives aux extractions.Une solution implantaire est envisagée en septembre 2006 pour compenser l’édentation maxillaire et soutenir les joues ainsi qu’une lipostructure. Le docteur G. réalise l’extraction d’une racine résiduelle au maxillaire (18  ou 17) et un approfondissement vestibulaire maxillaire bilatéral. Le docteur D. est consulté en novembre 2007 pour une réhabilitation dentaire implanto-portée au maxillaire. Le patient revient, en février 2008, vers le docteur P. qui lui établit un devis pour des bridges implanto-portés. Il avait toujours les prothèses amovibles transitoires. 

Sur le principe de la responsabilité

Selon l’expert, les extractions n’étaient pas médicalement justifiées pour 17 des dents en raison de l’état antérieur. Il retient également qu’il n’existe aucune preuve de l’information qui aurait été délivrée à monsieur B. en dehors du devis de prothèse. L’expert conclut que les actes dispensés ne peuvent être considérés comme attentifs et conformes aux données acquises de la science et que l’information délivrée au patient sur les risques et les conséquences liés à une édentation subtotale était insuffisante.Le TGI de Coutances déboute néanmoins le patient de ses demandes, tout en constatant le défaut d’information. L’affaire est ainsi portée devant la cour d’appel de Caen, qui reforme le jugement.En suivant les conclusions de l’expert, la cour retient que l’extraction de 17 dents n’était pas médicalement justifiée. Le docteur P. n’a pas non plus apporté la preuve qui lui incombe d’avoir informé le patient tant des risques encourus lors d’une édentation totale que de ses conséquences fonctionnelles. 

Le consentement préalable ne vaut que si l'acte est médicalement justifié

À côté des appréciations médicales, la cour d’appel relève que l’information délivrée était insuffisante, le docteur B. n’apporte pas la preuve qu’il a renseigné le patient sur « les risques et conséquences liés à une édentation subtotale. » Le patient subit un dommage auquel il n’a pas pu se préparer faute d’une information claire et détaillée lui permettant de « saisir le caractère amovible » des prothèses provisoires.Et même si le patient reconnaît avoir demandé l’extraction de toutes ses dents, il « n’a peut-être pas voulu comprendre les conséquences d’une édentation totale ». En tout état de cause, « aucun consentement éclairé ne peut être retenu s’agissant pour le praticien d’accéder à une demande d’acte non médicament justifiée ». Ainsi, les magistrats concluent à des « défaillances fautives » du docteur P. engageant sa responsabilité : il n’a pas suffisamment éclairé le patient et l’indication médicale des extractions était contestable (voir ci-dessous). 

Le préjudice « hypothétique »

Tel que constaté par la Cour, le dommage comprend à la fois les conséquences de la faute et les conséquences du défaut d’information, en tenant compte de l’état antérieur. Comme suite thérapeutique, l’expert avait préconisé la seule solution de prothèse amovible. Il avait écarté la solution implantaire, compte tenu du refus en 2005 par le patient de soins dentaires de maintenance, et de la contre-indication des greffes osseuses, préalable indispensable à la pose des implants. Mais les magistrats caennais estiment que « pour les 17 dents arrachées sans indication médicale, seule la solution implantaire est de nature à replacer M. B. dans la situation qui aurait été la sienne en l’absence de faute, et aucun état antérieur ne peut lui être opposé » !Le coût de cette solution, estimé à 43 592,07 € , lui est donc alloué au titre des dépenses futures, même s’il ne réalise pas le traitement. En y ajoutant les autres préjudices (souffrances endurées, préjudice moral pour défaut d’information), la cour condamne le docteur P. à payer la somme de 52 092,07 €  ! 

L'exigence indiscutable du droit à l'information

Il est difficile à la lecture de l’arrêt rendu par la cour d’appel de déterminer ce qui a emporté la conviction du juge, et de distinguer, dans l’extraction non médicalement justifiée de 17 dents, ce qui caractérise une faute de ce qui constitue un défaut d’information du patient.Cet arrêt dont nous ignorons s’il a fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation semble s’appuyer sur ces deux notions, généralement dissociées, pour fixer l’étendue de la réparation.En effet, si la faute oblige à réparer l’intégralité du préjudice subi, le défaut d’information s’analyse comme une perte de chance de consentir à l’acte pratiqué et ne donne donc pas nécessairement lieu à une réparation intégrale du préjudice.Cet arrêt illustre la sévérité des juges civils à l’égard des professionnels quant à la nécessité de l’information préalable des patients. Ils reflètent à cet égard la tendance jurisprudentielle actuelle. 

Toutefois, il devra informer dans les deux hypothèses le patient des conséquences de sa décision et garder la preuve de cette information. L'écrit s'impose pour confirmer les explications 

d'après cnsd.fr

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Il faut faire toujours attention avec les conseils des médecins, il ne faut pas obéir à tous les avis des chirurgiens. Suis Ton Cœur. Parfois les conseils des médecins se sont basés sur des motifs financiers ou pour examiner la personne malade dans le cadre d’un enseignement clinique. 
La vie m’apprit si tu as écouté quelqu’un en train de dire des mensonges qui pourront te commettre un préjudice, il ne faut pas garder le silence, défend toi. Le silence dans ce cas est une faute grave. 
La vie m’apprit, si tu as un rendez-vous, où tu vas subir une atteinte à ton intégrité physique, ne respecte pas ce RDV mille fois, et laisse les autres disent ce qu'ils veulent. 

Mohammed Bellamallem

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Caen, dent, dentiste, extraction, 




jeudi 17 décembre 2015

137 : De l'inconstitutionnalité de l'exécution forcée des promesses unilatérales de vente, par M. Fabre-Magnan



6. De l'inconstitutionnalité de l'exécution forcée des promesses unilatérales de vente, par M. Fabre-Magnan*


Le projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats entend « casser » la jurisprudence de la Cour de cassation du 15 décembre 1993 sur les promesses unilatérales de vente. Selon l'article 1124 de ce projet, le promettant qui se rétracterait avant la fin du délai d'option convenu pourrait désormais être forcé à réaliser la vente. Une telle exécution forcée porte atteinte au principe constitutionnel de liberté contractuelle. Un contractant ne peut en effet être obligé de consentir, et un contrat préparatoire ne peut dès lors avoir pour objet et pour effet de « figer » à l'avance le consentement d'une partie afin qu'il puisse servir ultérieurement pour la formation d'un autre contrat.
Nous voudrions plaider, une dernière fois (1), en faveur de l'excellente jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 15 décembre 1993 (2) et contre le projet de nouvel article 1124 du code civil. Ce texte, bien que réclamé et longtemps attendu par la grande majorité de la doctrine relayant de prétendus besoins de la pratique des affaires (3), nous semble contraire aux principes les plus fondamentaux du droit des contrats et, pour tout dire, non conforme à la Constitution.
On connaît la controverse : quelle sanction appliquer lorsque le promettant décide de se rétracter avant la fin du délai offert au bénéficiaire (car, après, la promesse est de toutes les façons caduque) et avant que ce dernier n'ait levé l'option (car, alors, le contrat est irrévocablement formé) ? Quelle est donc la sanction lorsque, contrairement à sa promesse, il refuse de procéder à la réalisation de la vente devant notaire ? Selon la Cour de cassation qui, depuis plus de vingt ans, tient bon courageusement contre les assauts répétés de la doctrine la sommant d'abjurer, la seule sanction possible est l'allocation de dommages-intérêts. L'adoption du projet d'article 1124 conduirait à pouvoir forcer la conclusion de la vente promise puisque, aux termes du nouveau texte, « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis ».
Une objection dirimante nous a semblé devoir être soulevée contre cette proposition : comment l'exécution forcée d'un contrat non translatif de propriété - le contrat de promesse unilatérale de vente - peut-il entraîner le transfert forcé de la propriété ?
Acquiesçant sans doute à l'argument, la doctrine a cependant trouvé une parade : le contrat de promesse unilatérale contiendrait et « figerait », une fois pour toutes, le consentement du promettant à la vente future. L'exécution forcée de ce contrat conduirait donc simplement à donner effet à ce consentement, et à le maintenir de force jusqu'à l'expiration du délai convenu. Le bénéficiaire aurait ainsi, jusqu'à ce terme, la faculté de lever l'option et de forcer le contrat de vente. Cette faculté de lever l'option serait plus précisément un droit potestatif, c'est-à-dire, selon les analyses classiques d'Ibrahim Najjar (4), un droit sans débiteur. Ce sont les explications que semble reprendre le projet d'article 1124 lorsqu'il donne, dans son alinéa 1er, la définition de la promesse. Selon ce texte, « la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, consent à l'autre, le bénéficiaire, le droit, pendant un certain temps, d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire » (5).
Cette simple description suffit cependant à démontrer l'inconstitutionnalité majeure du mécanisme.
Il est, en effet, acquis aujourd'hui que le principe de liberté contractuelle a valeur constitutionnelle. Selon la formule adoptée par le Conseil constitutionnel, il est certes « loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général », mais « à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » (6).
Or le cœur du principe de liberté contractuelle, son essence même, est la liberté de conclure ou de ne pas conclure un contrat. Si le consentement a un sens, il veut dire que, jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à ce que le contrat soit conclu par l'échange des consentements, chacun est libre de donner ou de ne pas donner son accord, et donc que personne ne peut être forcé à le faireUn contrat ne peut ainsi pas avoir pour objet de « figer » un consentement pour un contrat futur que l'autre partie pourrait décider seule de former ou non. La Cour de cassation ne s'y trompe pas qui, dans ses derniers arrêts (7), vise tout à la fois les articles 1101 et 1134 du code civil, qui sont les emblèmes du caractère volontaire de l'engagement contractuel, ainsi que de la liberté contractuelle. On ne peut éliminer la personne pour ne garder que son consentement, congelé et prêt à resservir. La notion même de droit potestatif n'a, au demeurant, pas de sens : certes, l'exercice par le bénéficiaire de son droit d'option ne nécessite pas que le promettant fasse, ne fasse pas ou donne quelque chose ; mais pour qu'un tel droit ait été créé et naisse, il a bien fallu qu'il y ait un contrat, liant et donc obligeant le promettant (au sens de la force obligatoire du contrat), et il faut donc bien un cocontractant, sinon débiteur d'obligations, au moins « obligé » par le contrat (8). Le montage a donc en réalité pour objet et pour effet d'« obliger » une partie à consentir, ce qui est une contradiction dans les termes et, par définition même, une atteinte à la liberté du consentement.
La mode est pourtant à ce que nous avons appelé ailleurs « le consentement en blanc » (9), particulièrement en droit du travail, où il s'agit d'obtenir du salarié qu'il consente par avance à des modifications unilatérales imposées par l'employeur, notamment de son lieu de travail. Mais un tel forçage du consentement, que l'on peut rapprocher de celui qu'on veut imposer en matière de promesses unilatérales de vente, porte atteinte au principe de liberté contractuelle.
On nous rétorquera que le contrat de promesse est valable, de même que sont valables les clauses de mobilité consenties par le salarié, dès lors qu'elles sont strictement limitées. Certes, mais de même précisément qu'on ne pourrait forcer un salarié à déménager (la violation de sa promesse sera sanctionnée par un licenciement), de même le promettant ne peut être sanctionné par la conclusion forcée de la vente. Il est acquis, en effet, même si ce point n'est pas mentionné expressément par le projet d'article 1221 (10), que si l'exécution forcée en nature peut être ordonnée toutes les fois qu'elle est possible, c'est à la condition que l'obligation inexécutée ne soit pas trop personnelle (11). Or il est difficile d'envisager une obligation plus personnelle que celle de donner son consentement. La sanction consistant à figer le consentement, à le bloquer, et donc à forcer la conclusion d'un autre contrat (la vente), est ainsi une sanction disproportionnée, au sens précis que donne à ce terme le Conseil constitutionnel.
Contrairement à ce qu'a répété une partie de la doctrine, le promettant n'a nullement la liberté de se rétracter, puisqu'il est condamné s'il viole sa promesse.
La sanction des dommages-intérêts peut en outre être très efficace pour inciter le promettant à respecter sa promesse : il est possible, en effet, de condamner ce dernier très lourdement, notamment s'il s'est rétracté pour pouvoir profiter d'une meilleure affaire par ailleurs.
La sanction des dommages-intérêts permet enfin de mieux rendre compte de la gradation de la formation d'un contrat. Pour les trois moments cruciaux que sont l'offre, la promesse et le contrat lui-même, seules deux sanctions sont disponibles : la formation forcée du contrat et l'allocation de dommages-intérêts. Or la formation forcée du contrat est un « tout ou rien ». Si on adoptait cette même sanction pour les deux moments de la formation progressive du contrat que sont la promesse et le contrat lui-même, ces deux étapes pourtant radicalement différentes se trouveraient confondues. La sanction des dommages-intérêts est, en revanche, susceptible de gradation selon qu'on en accorde plus ou moins, et cette même sanction pourrait donc convenir pour marquer, par une différence de quantum, la différence entre l'offre et la promesse de contrat.
Pour toutes ces raisons, et en particulier si l'on prend au sérieux le principe de liberté contractuelle, la formation forcée d'un contrat doit être et demeurer exceptionnelle. Le consentement, qui est l'émanation la plus profonde de la personne, ne peut être à ce point objectivé qu'on puisse le détacher de celle-ci pour le figer comme un objet de contrat dont l'exécution serait forcée.

* Professeur à l'Université de Paris 1

Recueil Dalloz, 2015, p.826
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(1) Pour d'autres tentatives, plus développées, V. surtout notre intervention au colloque organisé à Bordeaux le 24 nov. 2011 par notre collègue L. Sautonie-Laguionie sur le thème Jurisprudence et doctrine : quelle efficacité pour les avant-contrats ?, RDC 2012. 633, ou encore Droit des obligations, 1. Contrat et engagement unilatéral, PUF, coll. Thémis Droit, 3e éd., 2012, p. 242 s.
(2) Civ. 3e, 15 déc. 1993, n° 91-10.199, D. 1994. 507 , note F. Bénac-Schmidt , 230, obs. O. Tournafond , et 1995. 87, obs. L. Aynès ; AJDI 1994. 384 , 351, étude M. Azencot , et 1996. 568, étude D. Stapylton-Smith ; RTD civ. 1994. 584, obs. J. Mestre.

jeudi 16 juillet 2015

23 : R. Libchaber, L’ordre juridique et le discours du droit, LGDJ, 2013, 450 pages.



R. Libchaber, L’ordre juridique et le discours du droit, LGDJ, 2013, 450 pages.

par M. Bellamallem


« L’ordre juridique et le discours du droit », Essai sur les limites de la connaissance du droit. Rémy Libchaber, LGDJ, 2013. 450 p. Prix Charles Aubert de l'Académie des Sciences morales et politiques.


Un livre qui m'a donné l’impression que je suis en train de lire un livre des Lumières, personnellement je ne connais que M. le Professeur Rémy Libchaber le civiliste ... pour que je me trouve cette fois-ci devant M. le Professeur Libchaber le publiciste, qui embrasse toutes les branches de droit. Une grande richesse, présentée avec un niveau de langue très recherché.

Le livre a suscité chez moi le désir de partager son contenu sur les réseaux sociaux, mais aussi l'envie des réserves sur certaines questions, notamment l'idée ratio legis du livre, à savoir si les pratiques peuvent être reconnues comme des sources du droit. J'ai aimé beaucoup l'idée, mais le souci que j'ai avec la pratique, c'est qu'elle n'exprime que les intérêts d'une collectivité bien déterminée de la société. Si la pratique est une théorie qui défend les intérêts de tous les individus de la société, je serais avec son application par les autorités chargées de sa mise en œuvre sans aucune réserve. 

A mon gré, la pratique n'est qu'un intérêt comme tous les autres intérêts en jeu dans une société, elle ne peut être prise en compte par le juge que s’elle ne contrariera pas un droit ou un intérêt plus prépondérant, voire fondamental. La jurisprudence avant de considérer telle pratique, tel intérêt, elle doit procéder à «une activité de contrôle, qui est en quelque manière en surplomb de toutes les autres pratiques », de sorte que l'auteur a répondu lui-même à la question: «Pourquoi réserver le statut le plus favorable à la jurisprudence, en se détournant des pratiques qui sont essentielles à la connaissance d’un droit concret..?». p 407

En somme, je suis très heureux d'avoir lu ce beau livre, qui a eu le courage de démentir les vérités juridiques les plus admises, et de critiquer les théories juridiques les plus établies.

MB