samedi 21 septembre 2019

337 : Panorama de droit des contrats : Décembre 2017 - Décembre 2018 , par M. Mekki

Droit des contrats
décembre 2017-décembre 2018
Mustapha Mekki, Agrégé des Facultés de droit,
Professeur à l'Université Paris 13 - Sorbonne Paris Cité, Co-directeur de l'IRDA

I - Droit transitoire

Voici venu le temps... du droit transitoire ! Comme certains commentateurs de la loi l'avaient prédit, la réforme du droit des obligations soulève de nombreuses questions de droit transitoire (V. not. A. Bénabent, Application dans le temps de la loi de ratification de la réforme des contrats (art. 16 de la loi du 20 avr. 2018), D. 2018. 1024. Avant la loi de ratification, V. S. Gaudemet, Dits et non-dits sur l'application dans le temps de l'ordonnance du 10 février 2016, JCP 2016. Act. 559, p. 958). A priori les principes posés par l'ordonnance du 10 février 2016 (art. 9), modifiée et complétée par la loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018 (art. 16), sont clairs. Sauf exceptions (art. 1123, 1158 et 1183 c. civ.), tous les faits et actes accomplis avant le 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance, sont soumis à la loi ancienne. Il s'agit de la « postactivité de la loi ancienne » (Sur cette question, S. Mercoli, À propos de l'article 16 de la loi du 20 avril 2018 ratifiant l'ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats : simple précision méthodologique ou réforme du droit transitoire ?, LPA 25 juin 2018, p. 12). Ensuite, seuls les faits et actes accomplis entre le 1er octobre 2016 et le 1er octobre 2018 sont soumis au droit intermédiaire non modifié de l'ordonnance du 10 février 2016. Les règles interprétatives issues de la loi de ratification sont également applicables au 1er octobre 2016, jour de l'entrée en vigueur des textes interprétés (« les articles 1112, 1143, 1165, 1216-3, 1217, 1221, 1304-4, 1305-5, 1327-1, 1328-1, 1347-6 et 1352-4 du code civil, ont un caractère interprétatif », art. 16). S'agissant des dispositions de la loi de ratification opérant une modification substantielle de l'ordonnance, elles sont applicables depuis le 1er octobre 2018, date d'entrée en vigueur de la loi.

Droit transitoire et compréhension des juges du fond. Les principes sont clairs, même si certains juges du fond ont parfois du mal à les intégrer. Telle est l'illustration que fournit un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 19 septembre 2018 (Civ. 1re, 19 sept. 2018, n° 17-24.347, D. 2018. 1863 ; AJ Contrat 2018. 477, obs. G. Chantepie). En l'espèce, les juges du fond ont libéré un prestataire de services de son obligation d'entretien d'un système de climatisation d'un particulier en motivant leur décision par le fait qu'un des éléments essentiels du contrat avait disparu le rendant impossible à exécuter et donc caduc, sur le fondement de l'article 1186 du code civil. L'arrêt est légitimement cassé. Le contrat ayant été conclu avant le 1er octobre 2016, l'ancien droit aurait dû s'appliquer. Cependant, même à l'aune du droit ancien, la libération du débiteur aurait été difficile à justifier. Si le contrat de maintenance ne pouvait pas être exécuté, c'était en raison d'un accès au matériel rendu plus difficile, dû à des travaux de voirie rendant nécessaire l'utilisation d'une nacelle que le propriétaire ne voulait pas payer. Tout d'abord, à plusieurs reprises la Cour de cassation a certes jugé qu'un contrat dont l'exécution était devenue impossible est caduc (Com 4 oct. 2011, n° 10-10.548, Rev. sociétés 2012. 424, note L. Godon : à propos d'une clause d'exclusivité impossible à exécuter). Cependant, il n'est pas certain qu'en l'espèce, on ait affaire à un élément essentiel disparu justifiant la caducité du contrat. S'il y a impossibilité d'exécuter, elle aurait pu ensuite être qualifiée de force majeure. Cette impossibilité d'exécution, qui libère le débiteur, renvoie à la théorie des risques. Res perit debitori, les risques pèsent sur le débiteur, libéré en cas de force majeure, et qui doit dispenser le créancier de son obligation d'en payer le prix. Cela a pu autrefois être fondé sur la disparition de la cause dans les contrats synallagmatiques (Comp. Civ. 1re, 30 oct. 2008, n° 07-17.646, D. 2008. 2937, et 2009. 747, chron. P. Chauvin et C. Creton ; RTD civ. 2009. 111, obs. J. Hauser, et 118, obs. B. Fages). Cela pourrait demain être fondé sur l'article 1351 du code civil qui dispose que l'impossibilité d'exécution libère le débiteur « lorsqu'elle procède d'un cas de force majeure et qu'elle est définitive », ce qui entraîne la résolution du contrat (art. 1218, al. 2, c. civ.). Il n'est cependant pas certain que l'obligation pour le débiteur d'utiliser une nacelle rendant le coût plus onéreux constitue une impossibilité d'exécuter de manière définitive. La force majeure aurait été un fondement très discutable. Enfin, ne peut-on au moins y voir un cas d'imprévision ? Enfin, à l'aune du droit nouveau, pourrait-on demain y voir un cas d'imprévision ? En définitive, l'analyse des solutions qui auraient pu être rendues à l'aune du droit ancien permet de penser que c'est moins pour une raison de droit transitoire que pour une raison de fond que la décision des juges du fond a en l'occurrence été censurée.

Les pouvoirs du juge et le droit transitoire. La loi de ratification a prohibé tout recours par le juge à la théorie de l'effet légal et à celle de l'ordre public impérieux pour anticiper l'entrée en vigueur de certaines dispositions nouvelles (art. 9 mod. par la loi de ratification). Cependant, cette modification est sans effet sur l'interprétation du droit ancien à la lumière du droit nouveau initiée par la Cour de cassation. Dès les premiers mois de l'ordonnance du 10 février 2016, en effet, la Cour de cassation a multiplié les interprétations du droit ancien à la lumière du droit nouveau (Cass., ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411 ; rappr. Civ. 1re, 20 sept. 2017, n° 16-12.906, D. 2017. 1911 ; RTD civ. 2017. 837, obs. H. Barbier et, surtout, Soc 21 sept. 2017 n° 16-20.103, D. 2017. 2289, note B. Bauduin et J. Dubarry, 2007, note D. Mazeaud, 2018. 371, obs. M. Mekki, et 435, obs. S. Karaa ; AJ Contrat 2017. 480, obs. C.-E. Bucher ; Dr. soc. 2018. 170, étude R. Vatinet, et 175, étude Y. Pagnerre ; RDT 2017. 715, obs. L. Bento de Carvalho ; RTD civ. 2017. 837, obs. H. Barbier), pour justifier une série de revirements de jurisprudence. Les dernières décisions confirment néanmoins que l'interprétation audacieuse de la Cour de cassation reste dans les limites du raisonnable. Pour preuve, deux arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 6 décembre 2018 (Civ. 3e, 6 déc. 2018, n° 17-21.170 (promesse unilatérale de vente), D. 2019. 298, avis P. Brun, et 301, note M. Mekki ; et n° 17-23.321 (pacte de préférence), D. 2018. 2413, et 2019. 294, note S. Tisseyre) témoignent de la prudence des magistrats dans le domaine spécifique des contrats préparatoires.

Dans le premier arrêt, diffusé et non publié, l'avocat général, Philippe Brun, avait invité la Cour de cassation à opérer un revirement de jurisprudence en combattant la jurisprudence Consorts Cruz du 15 décembre 1993 (pour une vue complète, P. Malinvaud, D. Fenouillet et M. Mekki, Droit des obligations, LexisNexis, 14e éd., 2017, n° 154, p. 141) et en accordant l'exécution forcée en nature au bénéficiaire sans aucune référence formelle au nouvel article 1124, alinéa 2, du code civil qui en fait désormais le principe. Non seulement la Cour de cassation n'a pas souhaité formellement interpréter le droit ancien à la lumière du droit nouveau, ce qui aurait probablement pu être analysé comme une atteinte excessive à la prévisibilité des parties (art. 1er du premier protocole à la Conv. EDH ou à l'art. 6, § 1, de la Conv. EDH), mais surtout elle a préféré reconduire la jurisprudence antérieure, la promesse avant levée de l'option « excluant toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d'acquérir (...) ». On peut d'ailleurs se demander si, sous l'empire du droit nouveau, l'exécution forcée aurait été envisageable au fondement de l'article 1124, alinéa 2, du code civil. En effet, il était en l'espèce question d'une promesse unilatérale de vente post mortem. Le point de départ du délai d'option était fixé au décès d'un propriétaire antérieur titulaire d'un droit d'habitation. Or la rédaction maladroite de l'article 1124, alinéa 2, pourrait être exploitée par le promettant (ou ses héritiers) pour défendre l'éviction de toute exécution forcée et l'inapplicabilité de l'article. En effet, l'article dispose que l'exécution forcée et la rétractation sans effet du promettant concernent le cas où cette dernière interviendrait « pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter ». Or, tant que le propriétaire antérieur est encore vivant, le temps laissé au bénéficiaire n'a pas encore commencé à courir, excluant en amont toute application de cet alinéa 2 ! Même si cette interprétation joue sur l'ambiguïté du texte, elle peut parfaitement être défendue. En tout état de cause, l'arrêt confirme la prudence des magistrats de la Cour de cassation qui n'abuse pas de cet outil qu'est l'interprétation du droit ancien à la lumière du droit nouveau.

Dans le même esprit, dans le second arrêt, une promesse unilatérale de contrat a été conclue alors que le promettant était tenu par un pacte de préférence de dix ans (pour plus de détails, V. infra). La question consistait à savoir si la conclusion d'une telle promesse constituait une violation du pacte de préférence. L'occasion était ici belle de consacrer l'engagement définitif du vendeur dans une promesse unilatérale de vente, qui l'expose à une demande en exécution forcée, confortant ainsi la violation du pacte. Au lieu de cela, sans autre explication, la promesse est analysée comme un engagement suffisant pour constituer une violation du pacte de préférence : « le pacte de préférence implique l'obligation, pour le promettant, de donner préférence au bénéficiaire lorsqu'il décide de vendre le bien ». Y a-t-il une différence entre la décision de vendre et l'engagement à vendre ? Si la promesse engage et constitue une violation du pacte de préférence, engage-t-elle au point de fonder une demande en exécution forcée ? Aucune précision n'est apportée sur ce point (répondant par l'affirmative de manière implicite, V. Civ. 3e, 7 juin 2018, n° 17-18.670, AJDI 2018. 627 qui parle du promettant qui « ne peut renoncer à la vente » et peut être « contraint »). Décidément, prudence est mère de sûreté !


vendredi 20 septembre 2019

498 : Nullité de la déclaration de pourvoi : CC, 1re Civ., 20 septembre 2019, pourvoi n° 18-20.222, Bull. 2019 - P+B+I..


CASSATION 

CC, 1re Civ., 20 septembre 2019, pourvoi n° 18-20.222, Bull. 2019 - P+B+I.. 

Sommaire : L’absence ou l’inexactitude de la mention relative au domicile du demandeur en cassation exigée par l’article 975 du code de procédure civile constitue une irrégularité de forme susceptible d’entraîner la nullité de la déclaration de pourvoi s’il est justifié que cette irrégularité cause un grief au défendeur.

En matière d’enlèvement international d’enfants, ce grief est caractérisé lorsque l’inexactitude de la mention relative au domicile de l’un des parents nuit à l’exécution de la décision de retour.

Doctrine :

-      Didier CHOLET, « La procédure de cassation au service de la Convention de la Haye sur l'enlèvement international d'enfants », JCP éd. G, n° 40, 30 septembre 2019, 970
-   Mélina DOUCHY-OUDOT, « Enlèvement international d'enfant et qualification procédurale de la dissimulation du domicile », Procédures, novembre 2019, n° 11, comm. 293
-      Michel FARGE, « « Droit de la famille » - Chronique avec Hubert BOSSE-PLATIÈRE et Yann FAVIER et Adeline GOUTTENOIRE et Marie LAMARCHE et Pierre MURAT et Muriel REBOURG », JCP éd. G, n° 43, 21 octobre 2019, doctr. 1099, spéc. n° 21
-     Mehdi KEBIR, « Nullité de la déclaration de pourvoi : grief résultant d'une difficulté relative à l'exécution », Dalloz actualité, 11 octobre 2019


jeudi 19 septembre 2019

554 : Sur le devoir de mise en garde du crédit-preneur : 3e Civ., 19 septembre 2019, pourvoi n° 18-15.398 (FS-P+B+I)

Société civile immobilière

 3e Civ., 19 septembre 2019, pourvoi n° 18-15.398 (FS-P+B+I)


Sommaire

Lorsque l'emprunteur est une société civile immobilière, d'une part, seule celle-ci est créancière de l'obligation de mise en garde qui pèse sur le prêteur et non ses associés, même si ceux-ci sont tenus indéfiniment des dettes sociales, d'autre part, le caractère averti de cet emprunteur s'apprécie en la seule personne de son représentant légal et non en celle de ses associés.

Titres

BANQUE - Responsabilité - Faute - Manquement à l'obligation de mise en garde - Obligation de mise en garde - Domaine d'application - Société civile immobilière - Personne morale - Caractère averti - Appréciation en la personne des associés (non).
PRET - Prêt d'argent - Prêteur - Etablissement de crédit - Obligations - Obligation de mise en garde
-   Domaine d'application - Société civile immobilière - Personne morale - Caractère averti - Appréciation en la personne des associés (non)

Rapprochement

Com., 11 avril 2018, pourvoi n° 15-27.798, Bull. 2018, IV, n° ??? (rejet).

517 : Vérification de la minorité : CC, 1re Civ., 19 septembre 2019, pourvoi n° 19-15.976,

MINEUR


CC, 1re Civ., 19 septembre 2019, pourvoi n° 19-15.976, Bull. 2019 - P+B+I.. 


Sommaire : Le principe selon lequel le doute sur la majorité ou la minorité profite à l’intéressé ne s’applique que lorsqu’un examen radiologique osseux a été ordonné sur le fondement de l’article 388 du code civil.

Doctrine :

- Catherine BERLAUD, « Vérification de la minorité », Gaz. Pal., 1er octobre 2019, n° 33, p. 35
-   Mélina DOUCHY-OUDOT, « Doute sur la minorité lors d'un placement au service de l'aide sociale à l'enfance », Procédures, n° 11, novembre 2019, comm. 292
-  Adeline GOUTTENOIRE, « La présomption de minorité cantonnée aux tests osseux », JCP éd. G, n° 43, 21 octobre 2019, 1081
-  Ingrid MARIA, « Bénéfice de l'assistance éducative et détermination de la minorité : un casse- tête ? », Droit de la famille, n° 11, novembre 2019, comm. 224

jeudi 12 septembre 2019

309 : Les critères de la détermination du contrat international, par MB


1. Les critères de la détermination du contrat international, par M. Bellamallem


La doctrine et la jurisprudence aient quelque peu varié concernant le critère à suivre pour déterminer l’internationalité du contrat. Au moment où la doctrine classique a adopté le critère juridique qui prend en considération les éléments du lien contractuel (nationalité, domicile des parties, lieu de conclusion, lieu d’exécution, localisation de son objet), dès lors qu’il existe un élément d’extranéité. Un autre courant de la doctrine moderne a préféré le critère économique qui met en jeu les intérêts du commerce international. Il y a même encore ceux qui ont proposé un troisième critère hybride qui combine entre le critère juridique et le critère économique.
J'ai une approche spéciale pour la question des critères du contrat international, qui diffère de ce qui précède, en résumé il n'y a qu'un seul et unique critère pour déterminer le contrat international, c’est le critère juridique. Ce critère a eu dans l’application une version positive, qui distingue entre les éléments juridiques, elle ne considère que l’élément qui a la capacité de relier le contrat à plus d'un État, et donc plus qu'un système juridique national, d’une façon réelle et non pas comme une simple fiction juridique. Une version qui considère le critère dite « économique » comme une partie incorporée dans le critère « juridique », et une preuve sur l’exactitude de ses résultats et ses introductions, de sorte que le contrat international est un contrat inévitablement au-delà de la sphère économique d'un seul pays, il met en cause les intérêts économie de plus d'un État, et produit comme conséquence un mouvement de flux et du reflux au-dessus des frontières.

Résumé de l’article intitulé : 
« Le critère juridique, comme critère unique pour la détermination du contrat international » , 
publié dans 
un ouvrage collective concernant le contentieux des affaires
les éditions de  la Revue des professions juridiques et judiciaires, 
n° spécial, sept 2019. 


MB

483 : GPA : l'intérêt de l'enfant l'emporte sur la vérité biologique : 1re Civ., 12 septembre 2019, pourvoi n° 18-20.472, par SDER


1.   EXEMPLES       D’ARRÊTS        AYANT            RÉALISÉ       UN      CONTRÔLE        DE PROPORTIONNALITÉ


1re Civ., 12 septembre 2019, pourvoi n° 18-20.472, Bull. 2019 - P+B+R+I


Sommaire : Ne méconnaît pas les exigences conventionnelles résultant de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales une cour d’appel qui, en présence d’une convention de gestation pour autrui conclue sur le territoire national, déclare irrecevable l’action du père biologique en contestation de la paternité de l’homme ayant reconnu l’enfant, au motif que celle-ci repose sur un contrat prohibé par la loi, après avoir mis en balance les intérêts en présence, dont celui supérieur de l’enfant, qu’elle a fait prévaloir.

Cour de cassation 
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 12 septembre 2019
N° de pourvoi: 18-20472 
Publié au bulletin

L'illicéité de la convention de GPA :
par AMFR

En application de l'article 8 de la CEDH, la cour de cassation affirme, par un arrêt de la première chambre civile du 12 septembre 2019, que l'illicèité de la convention de GPA justifie le rejet de la demande de reconnaissance de paternité formulée par le père biologique, dès l'instant que le juge, gardien de l'intérêt de l'enfant, a constaté les conditions de vie de l'enfant adopté. rejoignant le gouvernement, la cour de cassation déclare l'hostilité du droit français à la GPA compatible avec le droit européen et vise l'adoption comme solution.
La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 12 septembre 2019 d'autant plus intéressant qu'il est rendu pour répondre à une question de filiation en droit français concernant un enfant né au terme d'un processus de GPA, la Cour de cassation statuant en application de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. 
La décision est d'autant plus importante que sur cette question là le Gouvernement vient de réexprimer sa position, le 10 septembre 2019, en affirmant que lorsqu'il y a une GPA réalisée à l'étranger l'enfant est rattaché à son parent, puis le droit français permet son adoption par le conjoint de celui-ci. En cela l'exécutif reprend la position de la Cour de cassation, telle que la même Première Chambre civile l'avait déjà exprimée.




Doctrine :

-     Jean-René BINET,  « Gestation pour autrui  : l'intérêt de l'enfant avant tout », JCP éd. G, n° 41,       7 octobre 2019, 1010
-      Laurence GAREIL-SUTTER, « GPA : l'intérêt de l'enfant l'emporte sur la vérité biologique »,
Dalloz actualité, 27 septembre 2019
-    Marie-Christine Le BOURSICOT, « Le jugement de Salomon de la Cour de cassation », Actualités du droit, 24 septembre 2019



334 : Les loyers d'une sous-location irrégulière reviennent au propriétaire : 3e Civ., 12 septembre 2019, pourvoi n° 18-20.727, par SDER


Bail d'habitation


Sommaire
Sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire.

Titre
BAIL (règles générales) - Sous-location - Interdiction - Sous-location irrégulière - Effets - Droits du propriétaire - Accession - Fruits - Sous-loyers perçus par le preneur.

Doctrine
- « Les loyers d'une sous-location irrégulière reviennent au propriétaire », Defrénois 2019, n° 39, p. 5 ;


mercredi 11 septembre 2019

617 : la répression des délits de Fraude fiscale et de blanchiment, arrêts du 11 septembre 2019 (chambre criminelle)

Note explicative relative aux arrêts n°1174, 1175, 1176, 1177, 1178 et 1179 du 11 septembre 2019 (chambre criminelle)


La chambre criminelle de la Cour de cassation, le même jour, rend six arrêts qui répondent à plusieurs interrogations de principe concernant la répression des délits de fraude fiscale et de blanchiment dans un contexte d’évolution du droit positif, en particulier des jurisprudences conventionnelle et constitutionnelle.
Les décisions respectent les nouvelles normes de rédaction adoptées dans le cadre de la réforme de la Cour de cassation qui ont vocation à être généralisées (recours au style direct, numérotation des paragraphes, utilisation d’un plan, citation de précédents jurisprudentiels). Cette rédaction facilite non seulement une présentation claire des arrêts mais aussi une motivation développée expliquant les principes qui sont ainsi posés.
 
1. La réserve émise par la France à l’article 4 du protocole n°7 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme
Résumé  : Il appartient au juge répressif d’appliquer l’article 4 au protocole n° 7 en faisant produire un plein effet à la réserve émise par la France en marge de ce protocole.
Il est des plus fréquents que la personne prévenue, parallèlement à la procédure pénale engagée pour fraude fiscale, fasse l’objet d’un redressement fiscal comportant des majorations de droits qui sont assimilées à des sanctions. La faculté de cumuler des poursuites et sanctions pénales et fiscales est susceptible de porter atteinte au principe ne bis in idem - le droit à ne pas être jugé ou puni deux fois pour les mêmes faits - qui est garanti notamment par l’article 4 du protocole n°7 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. Elle est toutefois préservée par la réserve émise par la France lors de la ratification de ce protocole, qui limite l’application de la règle aux infractions relevant en droit français de la compétence des juridictions statuant en matière pénale.
Plusieurs requérants poursuivis pour fraude fiscale ont remis en cause, devant les juridictions de jugement, la validité de la réserve française en se fondant sur les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme qui ont écarté l’application de réserves émises par d’autres Etats1, et en invitant le juge national à procéder de même en raison du défaut supposé de conformité de la réserve aux exigences de validité posées par l’article 57 de la Convention européenne2. Cette argumentation soulève une question de droit international relative à l’office du juge répressif : le juge répressif a-t-il compétence pour apprécier la validité de la réserve émise par la France lors la ratification du protocole n°7, qui limite l’application du principe ne bis in idem aux infractions pénales ?
La chambre criminelle répond qu’il appartient au juge répressif d’appliquer l’article 4 au protocole n° 7 en faisant produire un plein effet à la réserve émise par la France en marge de ce protocole. Les arrêts nos 1175 et 1176 s’inscrivent dans la droite ligne de la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Aux termes de celle-ci, l’article 4 du protocole n° 7, compte tenu de la réserve, n’interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif 3. Il a aussi été constaté que la réserve n’est pas remise en cause par la Cour européenne des droits de l’homme4. En effet, si la Cour de Strasbourg a pris position sur des réserves formées par certains Etats, elle ne s’est pas prononcée sur la validité de la réserve française.
Pour la première fois, est adoptée une motivation dite enrichie (§.16 à 23 de l’arrêt n° 1175, §. 11 à 18 de l’arrêt n° 1176) qui rappelle la jurisprudence précitée et aussi celle relative à l’office du juge judiciaire en matière de traités internationaux qui est de les interpréter et de les appliquer, les déclarations unilatérales faites par un Etat quand il signe ou ratifie un traité, par lesquelles il entend exclure ou modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à l’Etat s’incorporant aux conventions internationales5.
Elle expose aussi en quoi, contrairement à ce qui était soutenu, ledit principe ne contredit pas la jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle les Etats adhérents à la Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation6. Pour ce faire, le raisonnement prend appui sur :
  • d’une part, le cadre juridique dans lequel cette position de principe a été adoptée en Assemblée plénière, à savoir l’application et l’interprétation des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles qui concernent donc la portée de ces droits et libertés à l’égard de tous les Etats membres, et non la détermination préalable de l’étendue des engagements d’un Etat désigné - par nature différente - dont relève l’éventuelle appréciation de la validité d’une réserve émise par cet Etat ;
  • d’autre part, la spécificité des dispositions de la Convention sur le fondement desquelles la Cour européenne des droits de l’homme elle-même s’est reconnue compétente pour apprécier la validité d’une réserve (§.21 à 23 de l’arrêt n° 1175).
Par voie de conséquence, dans les deux affaires soumises à son examen, la chambre criminelle écarte les moyens de cassation formés à l’encontre des arrêts de cours d’appel qui, saisies de faits de fraude fiscale par des prévenus ayant fait l’objet de pénalités fiscales définitives, ont rejeté l’exception de procédure fondée sur le principe ne bis in idem.
Il s’en déduit que sont inopérants les moyens qui font valoir une méconnaissance de l’article 4 du protocole n° 7 tel qu’interprété par la Cour de Strasbourg qui conditionne tout cumul entre des poursuites fiscales et pénales à l’existence d’un lien matériel et temporel suffisamment étroit entre ces deux procédures (§.26 et §.50 de l’arrêt n° 1175).
S’agissant de la procédure, il est important de souligner que, lors de la mise en état contradictoire des pourvois, à la demande du parquet général près la Cour de cassation, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a fourni des éléments d’analyse et d’information. Il précise en particulier que le Gouvernement a invoqué la réserve française dans plusieurs requêtes actuellement pendantes devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Sur le fond, on peut remarquer que la chambre criminelle, partageant l’analyse de l’avocat général, n’a pas suivi une des pistes possibles visant à juger, sans opposer la réserve émise par la France en marge du protocole n° 7, que les sanctions pourraient, en l’espèce, se cumuler sans méconnaître la règle ne bis in idem en raison de l’existence d’un lien matériel et temporel suffisant entre les procédures pénale et fiscale.
L’on précisera également que les parties n’ont pas développé de moyen fondé sur l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui garantit également le droit de ne pas être jugé ou puni deux fois pour une même infraction
Enfin, ces décisions présentent une cohérence avec la position du Conseil d’Etat qui a récemment jugé qu’il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier la validité des réserves7. Toutefois la chambre criminelle ne se prononce ici expressément que sur une réserve émise en marge de la Convention européenne des droits de l’homme ou de ses protocoles, et non, de manière générale, sur toutes les réserves.
 
2. Les modalités d’application des réserves d’interprétation émises par le Conseil constitutionnel en matière de fraude fiscale
Saisi de questions prioritaires contestant la constitutionnalité du système français de cumul pénal et fiscal, le Conseil constitutionnel, par plusieurs décisions prises en 2016 et 2018, a considéré que les dispositions pénales sanctionnant les dissimulations et omissions déclaratives volontaires de sommes sujettes à l’impôt sont conformes aux principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines sous trois réserves d’interprétation. La première réserve prohibe une condamnation pénale en cas de décharge définitive de l’impôt par le juge fiscal pour un motif de fond ; la deuxième limite l’application de la loi pénale aux cas les plus graves et la troisième fixe une exigence de proportionnalité du cumul des sanctions.8
Il appartient au juge répressif d’appliquer ces réserves, ce qui nécessite que la chambre criminelle précise les modalités de leur mise en oeuvre. Jusqu’à ce jour, très peu de décisions ont été rendues9 ; cinq des arrêts présentés permettent des avancées majeures. 
2.1 L’autorité de la chose jugée par le juge fiscal et la question du sursis à statuer devant le juge pénal saisi de fraude fiscale
Résumé  : Même lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie de l’existence d’une procédure pendante devant le juge de l’impôt tendant à une décharge de l’imposition pour un motif de fond, le juge pénal n’est pas tenu de surseoir à statuer jusqu’à ce qu’une décision définitive du juge de l’impôt soit intervenue. Par exception, il peut prononcer, dans l’exercice de son pouvoir souverain, le sursis à statuer en cas de risque sérieux de contrariété de décisions, notamment en présence d’une décision non définitive déchargeant le prévenu de l’impôt pour un motif de fond. Dans tous les cas, le juge saisi d’une demande de sursis à statuer doit spécialement motiver sa décision.
Il n’est pas rare que, lorsque le juge pénal statue sur une poursuite pour fraude fiscale, la procédure fiscale ne soit pas close, le contribuable ayant saisi le juge de l’impôt d’une demande de dégrèvement des impositions et majorations. Selon une jurisprudence ancienne et constante de la chambre criminelle, les procédures pénale et fiscale sont indépendantes l’une de l’autre et la décision du juge de l’impôt, même de décharge, n’a pas autorité de chose jugée à l’égard du juge pénal de sorte que le juge pénal ne doit pas surseoir à statuer jusqu’à la décision définitive du juge de l’impôt.10
La première réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel prévoit, de façon inédite, un cas d’autorité de la chose jugée au fiscal sur le pénal puisqu’un contribuable qui a été déchargé de l’impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond ne peut plus être condamné pour fraude fiscale.
Selon le requérant, gérant de société, poursuivi pour fraude fiscale par minorations déclaratives de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et restitutions abusives de crédit d’impôt recherche (CIR), alors qu’un appel contre le jugement du tribunal administratif était pendant devant la cour administrative d’appel, il découlerait de la réserve l’obligation pour le juge pénal de prononcer un sursis à statuer. La chambre criminelle a ainsi été conduite à se pencher sur la question suivante : le juge répressif est-il tenu de surseoir à statuer dans l’attente d’une décision définitive du juge de l’impôt  ? 
Par l’arrêt n° 1174, la chambre criminelle infléchit sa jurisprudence et revient sur la prohibition du sursis à statuer par des principes énoncés au paragraphe 17. Le juge pénal dispose dorénavant de la faculté de surseoir à statuer.
Cependant, deux limites fortes sont posées :
  • cette faculté est conditionnée par la caractérisation d’un risque sérieux de contrariété de décisions. Une illustration en est donnée : il peut en être ainsi lorsque le juge de l’impôt a déchargé le prévenu de l’impôt pour un motif de fond par une décision qui n’est pas définitive. Précisons qu’elle n’est pas limitative ;
  • la mesure de sursis à statuer doit constituer une mesure exceptionnelle.
En effet, plusieurs éléments ont été pris en compte : la teneur de la réserve d’interprétation elle-même qui n’impose aucun sursis ; l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale ; la plénitude de juridiction du juge pénal ; l’obligation pour le juge pénal de statuer dans un délai raisonnable (§.13 à 16). Il en résulte qu’aucune obligation de surseoir à statuer ne s’impose au juge, même lorsque le prévenu justifie de l’existence d’une procédure pendante devant le juge de l’impôt tendant à une décharge de l’imposition pour un motif de fond.
Le juge saisi d’une demande de sursis à statuer doit spécialement motiver sa décision, qu’il s’agisse de la rejeter ou d’y faire droit. Son appréciation est souveraine. Le juge de cassation exerce un contrôle de motivation.
Dans l’affaire considérée, cela conduit à rejeter le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel qui a rejeté la demande de sursis à statuer sollicitée par le prévenu aux motifs notamment que le recours formé contre des rappels de TVA et la remise en cause du CIR a déjà été rejeté par le tribunal administratif.
Il s’agit de limiter le risque de contrariété de décisions au regard de l’exigence posée par le juge constitutionnel (§. 11), sans toutefois ralentir dans la très grande majorité des dossiers le cours de la justice pénale. 
2.2 La répression pénale de la fraude fiscale et la gravité des faits
Résumé : Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l’article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d’une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation.
Dans trois dossiers, les prévenus se sont prévalus de la deuxième réserve d’interprétation aux termes de laquelle les dispositions pénales ne s’appliquent qu’aux cas les plus graves d’omission ou d’insuffisance déclarative volontaire, cette gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention.
Les uns reprochaient à une cour d’appel d’avoir rejeté l’exception d’extinction de l’action publique fondée sur le défaut de gravité de faits d’omissions déclaratives et de les avoir déclarés coupables de fraude fiscale (arrêt n° 1175) ; une autre, de ne pas avoir recherché si les faits présentaient une gravité suffisante (arrêt n° 1179) ; enfin, un dernier, d’avoir jugé que les faits présentaient des caractères de gravité certain (arrêt n°1177), ce qui amène la chambre à s’interroger : quelles sont les modalités d’application et la portée de la réserve d’interprétation par laquelle le Conseil constitutionnel circonscrit la répression pénale, dès lors qu’elle s’ajoute au redressement fiscal, aux faits de fraude fiscale “les plus graves” ?
A ce stade, la Cour de cassation avait seulement jugé qu’il appartient au prévenu de fraude fiscale de justifier de l’engagement à son encontre de poursuites fiscales pour les mêmes faits.11
En réalité, il existe plusieurs questions sous-jacentes : le juge pénal doit-il apprécier la gravité des faits ou cette gravité résulte-t-elle du fait que le ministère public a engagé les poursuites après une plainte de l’administration fiscale ? Quelle est la nature de la réserve ? S’agit-il d’une modification des éléments constitutifs de l’infraction ? S’agit-il d’une condition de recevabilité de l’action publique ? A quel stade de l’examen du dossier, le juge doit-il se pencher sur la gravité des faits ? Quelles sont les conséquences d’une gravité insuffisante ? Quels sont le rôle et la nature du contrôle du juge de cassation ? La diversité des affaires examinées a permis à la chambre de dégager une doctrine (§. 36 de l’arrêt n° 1175).
Pour ce faire, le raisonnement de la chambre a pris en compte un certain nombre d’éléments (§. 29 à 35 de l’arrêt n° 1175) :
les éléments constitutifs du délit de fraude fiscale qui demeurent inchangés ;
  • le rôle et l’importance de la répression pénale tels que définis par le Conseil constitutionnel dans l’objectif de lutte contre la fraude fiscale ;
  • les termes de la réserve d’interprétation dont il résulte que seuls les faits présentant une certaine gravité au regard de certains critères généraux peuvent faire l’objet, en complément de sanctions fiscales, de sanctions pénales ;
  • le rôle nécessaire du juge quant à l’appréciation de cette gravité, devant lequel un débat contradictoire peut avoir lieu, et ce, même si la gravité des faits est prise en considération par l’administration fiscale lorsqu’elle dépose plainte après avis conforme de la commission des infractions fiscales puis par le ministère public lorsqu’il décide d’engager les poursuites ;
  • les conséquences d’un défaut de gravité : les faits ne peuvent donner lieu, en plus de la poursuite fiscale, à une condamnation pénale puisque, dans cette hypothèse, les dispositions les réprimant ne sont pas applicables. En l’absence de tout fondement légal par effet de la réserve, le juge pénal ne peut que prononcer la relaxe du prévenu.
Il en est déduit un certain nombre de conséquences :
  • confirmant en cela la jurisprudence précitée, il appartient au prévenu de justifier qu’il a fait l’objet, à titre personnel, de pénalités fiscales pour les mêmes faits que ceux visés par la poursuite pénale (il n’est pas nécessaire qu’elles soient définitives s’agissant de l’exercice de poursuites) ;
  • dans ce cas, la juridiction de jugement se prononce tout d’abord sur la caractérisation de l’infraction au regard des éléments constitutifs prévus par l’article 1741 du code général des impôt (en effet, si la fraude fiscale n’est pas établie, le juge n’a pas à se pencher sur son caractère grave ou non ; en outre, le juge peut être amené à prononcer une relaxe partielle) ;
  • puis, il incombe à la juridiction de jugement, même d’office lorsque la réserve d’interprétation n’est pas formellement invoquée par le prévenu, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale, en complément de la répression fiscale ; 
  • les critères de gravité sont ceux fixés par le Conseil constitutionnel : montant des droits fraudés, nature des agissements ou circonstances de leur intervention. Il est précisé, s’agissant de ces dernières, qu’il peut s’agir notamment de celles constitutives de circonstances aggravantes de la fraude fiscale ;
  • la décision du juge sur la gravité doit être motivée ;
  • elle doit intervenir préalablement au choix et à la motivation des peines prononcées ;
  • à défaut de gravité suffisante, le juge est tenu de relaxer le prévenu.
La Cour de cassation n’a pas qualifié la réserve d’interprétation. Il ne s’agit pas d’un cas d’extinction de l’action publique par autorité de la chose jugée ni d’une modification des éléments constitutifs du délit de fraude fiscale. La réserve présente un caractère sui generis que le juge pénal doit appliquer d’office, à la condition déjà relevée que le prévenu argue de la procédure fiscale ; en effet, seule l’existence de cette dernière est susceptible de faire perdre à la procédure pénale, sa nécessité.
Le moyen pris de la méconnaissance de la réserve peut être soulevé pour la première fois à hauteur de cassation (arrêt n° 1179). En revanche, le juge de cassation n’entend pas le soulever d’office (arrêt n° 1176). Le juge de cassation exerce un contrôle de la motivation retenue par les juges du fond afin de s’assurer qu’elle est suffisante (arrêt n° 1175).
Il convient de constater que la chambre criminelle a procédé elle-même, dans certains cas, à la qualification des faits, à partir des constatations souverainement opérées par les juges du fond :
  • lorsque la cour d’appel n’a pas procédé à la recherche de la gravité des faits en dépit du fait que la prévenue avait fait valoir avoir fait l’objet de pénalités fiscales (arrêt n°1179) ;
  • lorsque la cour d’appel, pour apprécier la gravité des faits, a retenu à tort certains critères (arrêt n° 1177).
Ce contrôle approfondi se justifie s’agissant d’une opération de qualification qui entraîne une condamnation ou une relaxe et, dès lors qu’est fixé pour la première fois le régime d’application de la réserve d’interprétation.
Dans les trois dossiers, les pourvois sont rejetés. Les arrêts permettent de dégager des éléments de fait considérés comme caractérisant les critères généraux fixés par le Conseil constitutionnel :